Une tentative d'expliquer l'ex-Yougoslavie en passant par les marges et les chemins de traverses...
lundi 16 janvier 2012
FUNKAHDAFI !
Photo (c) : Niger1.com
L'un des événements forts de l'année écoulée a été la fin de Kadhafi, qui, comme quelques uns de ces prédécesseurs maintenus en place par le sang (Ceausescu, Saddam Hussein), a fini par le sang. Nos moyens modernes de communication ont permis une mise à mort "embedded" : la place publique où l'on exécute les criminels se trouve désormais à la croisée de nos réseaux, qu'ils soient câblés, sociaux ou virtuels. Mais ce n'est pas pour nous interroger sur cette médiatisation complice et un rien morbide de la chute des dictateurs que Yougosonic en parle (même s'il y aurait beaucoup à dire). Ce qui était intéressant, dans cette chute quasi scénographiée du "grand leader", c'était d'observer certaines des réactions dans la Yougosphère...Les rubriques "commentaires" de certains médias, blogs, et profils Facebook ont vu s'afficher un déluge d'hommages au guide suprême. Sur Facebook, le groupe "SFR Jugoslavija", qui tente de reconstituer sur le réseau social une sorte de Yougoslavie virtuelle (en mode République Socialiste Fédérative), a été à la pointe d'une quasi-hystérie pro-Kadhafi que ce profil a orchestré méthodiquement bien avant que les forces "de libération" et leurs alliés occidentaux ne portent le coup fatal au colonel déchu.
Yougoslavie en version web 2.0, "SFR Jugoslavija" revendique la Fraternité et l'Unité, on y honore chaque peuple yougoslave dans le respect et l'amitié, on y célèbre les anciennes fêtes titistes, on y revendique l'antifascisme fondateur de la Fédération. C'est enfin un formidable robinet à clips qui offre un remarquable éventail de toute la production musicale yougoslave, de la variété au folklore, du rock alternatif à la musique classique, le tout introduit dans la pure tradition socialiste par "Le camarade untel propose" (ce sont les membres du groupe qui suggèrent les clips). Tout cela est à priori fort sympathique, et c'est en partie pour ces raisons que nous sommes au départ "devenus amis sur Facebook". Mais je me suis vite aperçu que ce groupe était encore plus intéressant et intriguant dans ce qu'il avait à nous dire sur certaines orientations idéologiques de ceux qui le font et plus encore d'une partie de ceux qui le lisent. Sur le plan politique "SFR Jugoslavija" réagit à l'actualité internationale comme un véritable organe de communication, délivrant messages et manifestes comme si l'Etat titiste était toujours debout et continuait d'incarner cette alternative faisant un pied de nez à Uncle Sam, à l'ex-CEE et au bloc soviétique. C'est justement dans ce positionnement alternatif que se situent les messages à la gloire de Kadhafi.
Les non-alignés,
Nesvrstani en serbo-croate (prononcer Nésveurstani")
Rappelons ici que la Yougoslavie de Tito a été à l'origine du bloc des non-alignés, cette alternative aux champs de forces tentant de diriger le monde. Ni à l'est ni à l'ouest, mais développant son "propre chemin et point de vue" (Tito), surfant avec habileté sur le tiers-mondisme des années 70, le non-alignement a donné une place
politique à de nombreux pays, notamment d'Asie et d'Afrique, peinant à se faire entendre dans le
"concert des nations".
La Yougoslavie titiste s'est imposée comme le centre de ce bloc, et Belgrade en était en quelque sorte la capitale. Tito allait ainsi parader aux côté de Nehru ou accueillait Sélassié...future icône rasta.
Entre nostalgie et ironie, dans le 80's
le rocker Sarajévien Elvis J. Kurtovic se souvenait de la venue de Sélassié en Yougoslavie.
Les ingénieurs et ouvriers yougos allaient construire des infrastructures dans les pays du Tiers Monde, et des milliers d'étudiants venus du monde arabe, d'Afrique Noire ou d'Indonésie, venaient se former dans les universités de Belgrade, Zagreb ou Sarajevo.
Au delà de l'aspect géopolitique, le non-alignement a apporté à la Yougoslavie une ouverture culturelle indéniable. L'attrait des ex-Yougoslaves pour les "musiques du monde", la place du reggae dans le paysage musical, et le fait que le rock local ne dédaigne pas de flirter occasionnellement avec des sonorités exotiques, sont probablement un reliquat de cette période où la Fédération était une plate-forme d'échange et de coopération avec des territoires lointains.
New wave aux accents reggae : Haustor de Zagreb chante le Tiers Monde ("Treci Svijet")
Afro-rock au coeur de l'Herzégovine : Zoster de Mostar
Santana meets Balkan Brass : Jovan Maljokovic et le Balkan Salsa Band
Parmi les pays membres de ce vaste ensemble se trouvait la Libye, et un Kadhafi dont la prise de pouvoir à Tripoli était officiellement positionnée à gauche. Le colonel était d'ailleurs l'un de ces jeunes étudiants étrangers, venu suivre une formation militaire à Mostar, en Bosnie-Herzégovine, ville où il rencontra son épouse dans les années 60, avant de prendre la direction de son pays d'origine.
L'homme fort libyen admirait beaucoup Tito et l'amitié entre les deux hommes était sincère. Accords commerciaux (les fameux chantiers évoqués plus hauts), géostratégiques (formation militaire, aide dans le domaine du renseignement) et universitaires ont marqué les échanges entre les deux Etats.
Les étudiants libyens envoyés pour étudier dans les facs yougoslaves étaient des fils de la nomenklatura kadhafiste, des fidèles du régime...Ce qui a donné - dans le domaine pop-culturel - un projet musical insolite, que "SFR Jugoslavija", entre deux diatribes contre l'impérialisme occidental, a régulièrement donné à entendre ces dernières semaines : The Green Wings of Jamahiriya, un groupe de rock, constitué d'étudiants libyens. Leur musique, étonnante mixture de variété internationale, de new wave (ils officiaient au début des 80's), de pré-musiques du monde, est une vraie curiosité, hélas devenue introuvable sur le net pour d'obscures problèmes de droits d'auteur.
The Green Wings of Jamahiriya : le chaînon manquant entre la variété internationale, la world music et la révolution kadhafiste
Les textes, tantôt en arabe, tantôt en serbo-croate, chantent le blues de l'exil autant que des hymnes à la gloire du grand leader, ce dernier affichant d'ailleurs, sur les pochettes, son physique d'alors de beau brun. Une icône-pop et politique, à rapprocher du Che Guevara qui orne les tee-shirts des fils à papa jouant les indignés.
Basé dans la capitale de l'OTAN : Front 242. Bande annonce pour un futur kaki (N.B. : Le clip n'est pas signé du groupe)
A la fin des années 80, les belges de Front 242 signèrent eux aussi un hit underground sur le grand patron de la Libye. Le gang électro bruxellois était loin de se douter des événements actuels, mais avait, d'une part, déjà compris à cette époque ce que cristallisait Kadhafi, que ce soit dans le rejet ou dans l'adoration, et d'autre part, son imagerie techno-martiale indique qu'il avait pressenti que les temps à venir seraient faits de conflits armés.
Comme chez beaucoup de formations de cette époque, une grande partie du travail de Front 242 se voulait d'être une interrogation, certes dansante, mais pas désengagée, de l'union sacrée des mass-médias et de la technologie dans les rapports de forces politiques. Leur mot d'ordre était de dire en gros "faites attention, nous sommes submergés de messages, essayez de les décoder avant qu'ils ne vous manipulent". De nombreux projets artistiques, dont celui, bien connu et largement décortiqué en nos pages, de Laibach, ont fait écho à ce postulat en ex-Yougoslavie.
Mais ce genre de mise en garde et de questionnement, ne semble fonctionner qu'à l'encontre des manipulations - certes bien réelles - de l'Occident, chez une partie des commentateurs qui se sont déchaînés sur le mur de "SFR Jugoslavija", ou dans les fils de discussion de certains journaux de la Yougosphère : poster "Rest in peace Muammar" ou "Kadhafi était le plus grand démocrate et un homme qui a recherché le bien de son peuple" alors que la moindre petite contrariété qui pouvait affecter le dictateur ou son clan se soldait par les pires brutalités, en dit long sur la confusion idéologique d'une partie de ceux qui prétendent défendre l'héritage yougoslave ou le non alignement. Dans leur esprit, Kadhafi n'est pas cette brute immonde butant ses opposants jusque dans les fosses communes, et dont les fils jouent les beaufs friqués dans les suites genevoises, mais au contraire un résistant de gauche à l'impérialisme occidental incarné par l'OTAN et ses lèches-bottes de l'UE, un défenseur des "petits" opprimés par les "grands".
"Les domestiques de Kadhafi maltraitées ?
On s'en fout, Kadhafi nique l'Occident !"
La mise à mort de Kadhafi cristallise la défiance envers l'Occident qui se diffuse peu à peu dans les sociétés ex-Yougoslaves : en Serbie, on est resté échaudé - y compris parmi ceux qui étaient opposés à Milosevic - par les bombardements de 99, vécus comme une trahison. En Bosnie-Herzégovine, on a le sentiment à juste titre d'avoir été lâché par les forces internationales, soupçonnées en plus d'être anti-musulmanes. En Croatie, on voit dans les intégrations supranationales en cours (UE, OTAN...) une perte de la sacro-sainte indépendance, chèrement acquise. Et partout, la lassitude face aux injonctions paternalistes de l'UE est profonde...
Affiche serbe "Nous n'avons pas oublié. Non à l'entrée [de la Serbie] dans l'OTAN"
Le tout surfe sur des sentiments mêlés de déception face au marasme économique, au spleen politique et aux absences de perspectives autres que celle de l'intégration - présentée comme incontournable - dans ce que les populations perçoivent comme un "gros machin" qui profitera surtout aux "investisseurs" venus de l'ouest conquérant. Dans ce tableau sombre, la main d'oeuvre travaillera à moindre coût, et, comme s'en inquiète un blogueur de Rijeka, les plus précaires iront remplir les rangs d'une armée, à terme "alignée" sur l'OTAN, où ils formeront la nouvelle chair à canon de l'interventionnisme US.
On n'oublie pas non plus dans certaines branches de la sphère yougonostalgique que c'est la démocratie qui a mené au pouvoir ceux qui allaient précipiter le pays dans le chaos, alors que sous la "dictature" titiste (somme toute assez soft), "on ne vivait pas mal", il y avait du boulot, l'instruction était gratuite et de qualité, et l'on pouvait voyager. Quant à la démocratie "à l'occidentale", elle apparaît de plus en plus comme une mascarade servant avant tout les intérêts de quelques uns. Défendre Kadhafi est donc une sorte de doigt d'honneur, tendu à la bonne conscience de l'Occident, et à ses certitudes.
Que l'on soit d'accord ou non avec ces positions, ce sont là des courants que l'on ne peut ignorer si l'on veut prendre un minimum la mesure des opinions qui émergent dans le monde post et ex (-yougoslave). Par ailleurs, on est ici d'accord pour dire que l'intervention en Libye
comportait nombreuses hypocrisies et ambiguïtés, et on se méfie de la démocratie importée "chirurgicalement". On a enfin vécu de très près les bombardements de l'OTAN en
Serbie, et on sait que ceux-ci ont contribué à renforcer Milosevic et à
poser les bases de la Démocrature serbe actuelle. Bref, on n'est pas
ici du genre va-t'en guerre et ultra-adeptes de l'ingérence...
Cela dit, exprimer ces réserves et comprendre cette fronde anti-occidentale ne signifie pas tout accepter, et on est bien sûr loin, dans ce blog, de partager cette passion soudaine pour les hommes forts du monde arabe. Pas tant par obsession droit-de-l'hommiste à la BHL, ni par certitude que notre démocratie en mode CNN est vierge de critiques, mais plus parce qu'on pense que cette posture, qu'elle soit purement cynique ou authentiquement sincère, sert des intérêts à l'opposé de l'héritage antifasciste, anti-impérialiste et anti-capitaliste de la Yougoslavie.
Un récent article du Monde détaillait le train de vie des
dictateurs célèbres. Ce qu'il en ressort, c'est que, fondamentalement,
un dictateur c'est un grand gamin avec des fantasmes de beauf :
pognon, grosses bagnoles, palaces, vêtement de marques,
écrans plasma, gonzesses et boîtes de nuit.
Propriété de Mobutu sur la Côte d'Azur.
(c) La Provence
Bref, on est dans le modèle
de consommation capitalo poussé à l'extrême, loin, très loin, des
principes de la gauche, en l'occurrence de la supposée "vraie gauche" anticapitaliste, pas celle
de ces couilles molles de la social-démocratie.
Totalement
bling-bling, la vie d'un
dictateur, c'est rien moins que du gangsta-rap, ou, pour rester
balkanique, du turbo-folk. Les frasques des dictateurs, si on fait
abstraction des milliers de morts que leur règne souvent occasionne,
s'apparentent souvent à celles des rock stars. C'est ce qui explique
leur passages fréquents du statut d'autocrate à celui d'icônes pop, et
la fascination cynique qu'ils suscitent. Le rôle du méchant, qu'ils
assument de manière décomplexée, leur confère paradoxalement une sorte
d'humanité, de vérité et d'authenticité. Comme dans certains films où
l'on trouve les "méchants" plus intéressants dans leur cynisme que les
"gentils", totalement barbants avec leurs bons sentiments : le méchant accepte et revendique son côté obscur, alors que le gentil le refoule. Le "mal", dans
son côté rock'n'roll, incarne la transgression, qui permet
l'affirmation de sa différence.
Ceausescu de retour sur les murs de Bucarest Photo (c) Bpopa27
Face à un Occident jugé
hypocrite, donneur de leçon et conquérant, le dictateur est un fou du roi, un emmerdeur, un défi permanent. Kadhafi devient un symbole de la résistance des peuples opprimés face à une armée de rouleaux compresseurs en roue libre : UE, OTAN, USA...
Le problème c'est que, bien sûr, on n'est pas au cinéma ni dans le rock'n'roll, et que dans le contexte ex-Yougoslave, toute cette agitation autour de Kadhafi, Bachar El Hassad, et plus récemment Kim Jong-Il, tient peut-être de la manipulation, savamment distillée par toute une nébuleuse, fort active et bruyante sur le web, dans laquelle orbitent pêle-mêle les cléro-fascistes serbes, les néo-oustachis pro-Gotovina, les "bons" musulmans en pleine reconquête de la Bosnie-Herzégovine, les oligarchies mafieuses et les adeptes d'un rapprochement rouge-brun, façon Limonov et Kusturica. Ce dernier vend d'ailleurs dans son Küstendorf, des cocktails à la gloire de Fidel Castro et Suddam Hussein, qui deviennent du coup des personnages "fun". A quand le viagra au piment intitulé "Hot Muammar" ou un bloody-mary nommé "Bachar Tonic"?
Je ne vois pas tellement en quoi les dictateurs d'aujourd'hui sont tellement différents des leaders fascistes d'hier que les Partisans titistes ont combattu. L'antifascisme "historique" ici revendiqué devient une sorte de cause vide de sens. Il reste dans une acception ancienne et peut être périmée du terme et ignore d'une certaine façon les mutations actuelles dudit fascisme comme ses variantes exotiques, que l'on tolère parce qu'elles sont auréolées au départ d'un voile tiers-mondiste. Dans un territoire où les anciens communistes se sont recyclés en fascistes nationalistes, puis en suppôts du capitalisme sauvage, le tout mis sous cloche, ou plutôt sous le clocher des églises locales, où être néonazi est considéré comme une contre-culture parmi d'autres, la confusion idéologique est forte et favorise tous les délires.
"Soutien au colonel et au peuple Libyen" Affiche du mouvement d'extrême droite SNP Nasi à Belgrade
Ce n'est pas hasard si les presses pro-gouvernementale ou
proches des extrêmes-droites ouvrent largement leur colonnes aux
excités du "RIP Muammar" et autre "Vive la Syrie libre avec Bachar El
Hassad". Bref, tout est bon, sous couvert de combat contre
l'impérialisme UE et US, pour conforter des modèles idéologiques
conservateurs et autoritaires.
Et pendant qu'on verse des larmes furieuses sur Kadhafi, la Russie de Poutine construit des bases dans le sud de la Serbie, l'Ambassadeur russe à Belgrade pointe sa gueule à Guca (qui, rappelons-le, derrière ses allures de woodstock schlyivovitzé, est le rancard des fascistoïdes serbes) et sur les barricades du nord du Kosovo. Enfin, des gamins serbes sont envoyés l'été en Russie par leurs parents pour suivre des entraînements encadrés par des vrais militaires.
La même Russie alliée du clan El Hassad qui oppose son véto à toute tentative Onusienne de ménage dans l'enfer syrien. La même Sainte Russie qui qui se pose en garante des "vraies valeurs" et de la "vraie foi" (traduction étymologique du mot "orthodoxie") face à un Occident jugé décadent et matérialiste.
Ensemble folklorique cosaque en concert à Belgrade interprétant "Tamo Daleko", une chanson serbe patriotique de la Première Guerre Mondiale.
L'idée est de ramener les "frères serbes" dans le giron de Moscou, avec la perspective de rattacher à terme la Serbie à un Empire grand-russe avec la Biélorussie de Loukachenko, une Ukraine matée et les charmantes dictatures d'Asie Centrale. La Serbie en orbite russe, c'est un suppositoire directement positionné aux fesses de l'UE. Un vieux rêve kremlinois.
En Bosnie-Herzégovine,c'est l'Obcurantis order importé du Golfe qui tente de séduire les Musulmans locaux, amers et déçus après des années où l'indifférence ne l'a disputé qu'au mépris d'un Occident totalement flippé par l'Islam et jugeant les Balkans avec une approche du XIXe siècle. En Croatie, c'est toute la clique opus-déiste, népotiste et nationaliste, largement favorisée sous le long règne du HDZ, qui voit d'un mauvais oeil l'ouverture du pays vers des valeurs un rien plus "open".
Enfants en uniforme oustachi à une fête du mouvement éponyme en Croatie
Les
ex-Yougoslaves dont on parle ici n'ont cependant pas le monopole de ces erreurs
d'aiguillages idéologiques, et un détour sur les commentaires de Libé,
une discussion arrosée avec quelques gauchistes doctrinaires, sans
compter un coup d'oeil chez les fafs (rappelons que Jörg Haider
fréquentait Kadhafi), révèlera des prises de position similaires. Pour revenir à "SFR Jugoslavija" dont j'ai longuement parlé dans ce post, je me garderai bien de conclure hâtivement que cette communauté entretient sciemment la confusion idéologique en vigueur ou possède un agenda caché KGBiste ou autre. Il s'agit peut-être simplement d'un espace de débat entre des "camarades", avec différents courants qui s'affrontent. Il est cependant troublant que les administrateurs de la communauté, en plus de leurs prises de position pro-Kadhafi et autre El Hassad, aient accepté une vidéo en provenance de "Vidovdan", infâme portail serbe
nationaliste, vidéo qui cite un ancien militaire françaisproche de Radio Courtoisie minimisant les responsabilités serbes dans l'explosion du
pays pour insister sur la culpabilité de la méchante Allemagne. Je ne conteste pas, bien sûr, le rôle de ce pays, mais pour être exhaustif, il faudrait aussi analyser celui des autres puissances, France et Russie comprises, qui ont toutes participé au jeu d'échec grandeur nature de la dislocation yougoslave. Deuxièmement, ce conspirationnisme, même si partiellement fondé, est très commode : il évite d'avoir à questionner les responsabilités locales, qu'elles soient au sommet de l'Etat ou au niveau individuel. Ce n'est ni la France, ni l'Allemagne, ni qui que ce soit d'autres qui ont voté en masse pour Tudjman, Milosevic, et se sont enflammés pour la Grande-ceci ou la Grande cela. Si les "puissances" ont en effet activé certains leviers, c'est bien parce que sur place il y avait un terrain propice...
Autre fait troublant, les Albanais du Kosovo sont parfois désignés sous le terme de "Shiptars" (terme péjoratif utilisé en Serbie) sur le profil. Il est troublant encore de voir combien la rhétorique propagandiste ici
affirmée (d'autant que les statuts sont souvent postés en majuscule, ce
qui signifie qu'ils sont "criés") parvient en définitive à influer les
réactions des membres dans une direction parfois ambiguë, et que toute voix discordante est sèchement remise au pas. Je n'affirme rien, je m'interroge...
Entre les Albanais du Kosovo et les américains c'est la love story Photo (c) AFP
Il n'est pas complètement impossible que "SFR Jugoslavija" soit en réalité un projet de politic-art interactif, agissant en révélateur des multiples facettes et contradictions de l'idéologie yougoslave. Cela peut paraître farfelu, mais ce ne serait pas la première démarche de ce genre. Facebook serait ainsi un nouveau terrain d'investigation pour des expériences où le territoire virtuel serait en même temps le média de ce territoire.
Toujours est il que l'hystérie hassado-kadhafiste n'a pas fait l'unanimité : quelques membres ont quitté la communauté, refusant de voir le légitime et
nécessaire travail de mémoire ou le fervent sentiment yougonostalgique
associés à la célébration de dictateurs. Quant à moi, je suis resté un temps "ami", plus en observation qu'en adhésion, tant ce
profil me semblait fédérer en son sein certaines contradictions de cette
fameuse yougonostalgie, sentiment que l'on respecte (sans le partager intégralement) et que l'on préfère
au prêt-à-penser nationaliste en vigueur aujourd'hui, mais qui apparaît
plus complexe et plus composite qu'on ne l'imaginait... Cependant, j'ai fini par craquer. Suite à une énième série de mots d'ordre hurlés en CAPS LOCK et à un poste truffé de mauvaise foi et de contre-vérités sur l'UE, j'ai mis fin à cette "amitié" de toute façon virtuelle dès le départ.
Quant au non-alignement, si sur le papier l'idée d'une troisième voie peut être séduisante, on a quand même le sentiment que le logiciel nécessiterait une mise à jour : le mouvement existe toujours et a tenu récemment sommet à Belgrade, la diplomatie serbe tentant de jouer cette carte avec le vague idéal d'y retrouver le leadership d'antan.
Photo de famille lors du sommet des non-alignés à Belgrade en 2011
Le problème est que Vuk Jeremic, le pathétique ministre des affaires étrangères serbe, n'a pas la carrure ni l'intelligence stratégique d'un Tito, et que par ailleurs, comme le rappelait le portail serbe Gayecho (dont a parlé ici), un bon paquet de pays non-alignés sont en tout cas alignés sur une même tendance à terroriser leurs gays, à maltraiter les femmes et à enfermer leurs opposants... Bref, cette troisième voie, de surcroît menée par un pays dont la politique officielle continue de déstabiliser les Balkans, fait peu rêver.
Autre prétendante au titre de "troisième voie", l'UE est aujourd'hui en phase d'implosion. Le déclin de l'Europe et plus globalement de l'Occident (au sens traditionnel) est confirmé par de nombreux experts. Même les States devraient voir leur leadership se réduire. C'est à priori sous d'autres cieux que se dessine l'avenir de la planète.
Dans 20-30 ans, si je suis encore de ce monde et si ce monde ne s'est pas entre temps mis sur la gueule comme il sait si bien le faire, il n'est pas impossible que ce blog soit rédigé en espagnol sud-américain, en hindi ou en chinois...
En attendant cette nouvelle donne, et pour résumer ma pensée, on conclura ce post avec, une fois n'est pas coutume, du rock britannique : au siècle dernier (1985), les Redskins et leur punk-soul non aligné clamaient "Ni Washington ni Moscou" ("Neither Washington nor Moscow").
Si leur musique a un peu vieilli, le propos reste plus que jamais d'actualité !
C'est clair, perso, je ne fais ni confiance aux USA ni aux russes. Beaucoup de serbes tombent dans le panneau du "grand frère russe"...Comme si ce dernier se laissait aller à des élans d'affection désintéressés. Arf ! Pour en revenir à Kadhafi, ça me fait plaisir de voir Yougosonic en parler. Je fais partie de ceux qui ont encore en mémoire les bombardements de l'OTAN, alors comment dire...L'intervention sous couvert d'humanitaire en Libye m'a révulsé, indigné et écoeuré. La couverture médiatique minable n'était que le fidèle écho de la propagande militaire occidentale. Pour autant je n'adule pas quelqu'un comme Kadhafi. Un train peu en cacher un autre (un adage que quelques serbes devraient méditer), on déjoue une grossière propagande pour tomber dans l'angélisme le plus imbécile en louant la politique pas toute propre de feu Kadhafi... Pour en finir, merci de mettre tout cela en perspective à l'aide de courants musicaux, l'angle d'approche est en effet intéressant. C'est aussi pour cela que cela que j'apprécie Yougosonic, même si parfois je te trouve bien dur avec les serbes. Mais ça c'est une autre histoire, je souhaite à la Serbie de se réveiller un jour et d'admettre ses erreurs. Dénoncer une diabolisation est une chose, encore faut-il aller à confesse, première étape vers la reconstruction de soi.
C'est le post qui m'a pris le plus de temps de bouclage(je l'ai démarré à la mort du "grand leader") : c'était en fait un sujet assez "casse gueule" parce qu'il fédère pas mal de contradictions et soulève de nombreuses questions, à la fois morales, idéologiques, économiques, sociales. J'étais un peu comme les médecins occidentaux au fin fond de l'Amazonie : faut il vacciner les peuples autochtones ou les laisser se soigner avec leur propre science (parfois moins efficace), au nom du respect de la diversité ? Faut il continuer de vénérer le non-alignement au nom d'un tiers mondisme tout à fait louable, alors que ce bloc est plutôt aujourd'hui un foyer d'obscurantisme ? etc.. Entre la compréhension du ressenti légitime des populations yougoslaves (et + globalement des populations de toutes les "banlieues" de l'Occident) et la prudence face aux dérives de ce ressenti, entre le sentiment d'impuissance face à la brutalité des dictatures et le désarroi que peuvent susciter les réactions armées de l'OTAN (pas désintérressées), pas facile de faire la part des choses et d'arrêter une position claire. Mais c'est aussi pour ça que l'ex-Yougoslavie m'intéresse, parce qu'elle cristallise pas mal de contradictions, et qu'on ne peut pas l'aborder juste avec une approche cartésienne sûre d'elle même.
Tu me trouves parfois dur avec les Serbes ? Ha, ha ! Je pense que certains croates doivent aussi me trouver dur avec eux et je ne suis pas sûr que tous les Bosniaques aient apprécié mes posts sur leur pays. En fait, je ne roule pour personne mais j'ai mes idées, et je confesse une empathie profonde pour la Bosnie-Herzégovine, parce que quoi qu'on dise, ce sont les habitants de ce pays les plus niqués dans tout ça.
Le fait est que, pour des raisons d'ordre privé, la Serbie est l'un des territoires que je connais le mieux en ex-YU, donc je suis peut être un peu + sévère ;-) mais j'essaye de pourfendre les travers de chacun. Ceci dit, ma sévérité, peu importe à qui elle s'adresse, est plutôt là pour dire "les gars, vous vous plantez, là !". Je le dis en ami, et comme tu l'as dit toi même dans un de tes posts "les amis, ça sert à ça" ;-)
Je connais plein de Serbes qui sont des gens formidables et qui essayent de faire avancer leur pays mais c'est vrai que je n'arrive pas à me taire par rapport à certains gâchis et conneries qui minent encore et toujours ce pays.
"... mais c'est vrai que je n'arrive pas à me taire par rapport à certains gâchis et conneries qui minent encore et toujours ce pays." Qui aime bien châtie bien. Continue à dénoncer les politiques pourries, les postures rétrogrades, c'est aussi pour ça qu'on vient ici. :)
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C'est clair, perso, je ne fais ni confiance aux USA ni aux russes. Beaucoup de serbes tombent dans le panneau du "grand frère russe"...Comme si ce dernier se laissait aller à des élans d'affection désintéressés. Arf !
RépondreSupprimerPour en revenir à Kadhafi, ça me fait plaisir de voir Yougosonic en parler. Je fais partie de ceux qui ont encore en mémoire les bombardements de l'OTAN, alors comment dire...L'intervention sous couvert d'humanitaire en Libye m'a révulsé, indigné et écoeuré. La couverture médiatique minable n'était que le fidèle écho de la propagande militaire occidentale. Pour autant je n'adule pas quelqu'un comme Kadhafi. Un train peu en cacher un autre (un adage que quelques serbes devraient méditer), on déjoue une grossière propagande pour tomber dans l'angélisme le plus imbécile en louant la politique pas toute propre de feu Kadhafi...
Pour en finir, merci de mettre tout cela en perspective à l'aide de courants musicaux, l'angle d'approche est en effet intéressant. C'est aussi pour cela que cela que j'apprécie Yougosonic, même si parfois je te trouve bien dur avec les serbes. Mais ça c'est une autre histoire, je souhaite à la Serbie de se réveiller un jour et d'admettre ses erreurs. Dénoncer une diabolisation est une chose, encore faut-il aller à confesse, première étape vers la reconstruction de soi.
Merci Vlad pour ton com' à chaud.
RépondreSupprimerC'est le post qui m'a pris le plus de temps de bouclage(je l'ai démarré à la mort du "grand leader") : c'était en fait un sujet assez "casse gueule" parce qu'il fédère pas mal de contradictions et soulève de nombreuses questions, à la fois morales, idéologiques, économiques, sociales.
J'étais un peu comme les médecins occidentaux au fin fond de l'Amazonie : faut il vacciner les peuples autochtones ou les laisser se soigner avec leur propre science (parfois moins efficace), au nom du respect de la diversité ? Faut il continuer de vénérer le non-alignement au nom d'un tiers mondisme tout à fait louable, alors que ce bloc est plutôt aujourd'hui un foyer d'obscurantisme ? etc..
Entre la compréhension du ressenti légitime des populations yougoslaves (et + globalement des populations de toutes les "banlieues" de l'Occident) et la prudence face aux dérives de ce ressenti, entre le sentiment d'impuissance face à la brutalité des dictatures et le désarroi que peuvent susciter les réactions armées de l'OTAN (pas désintérressées), pas facile de faire la part des choses et d'arrêter une position claire. Mais c'est aussi pour ça que l'ex-Yougoslavie m'intéresse, parce qu'elle cristallise pas mal de contradictions, et qu'on ne peut pas l'aborder juste avec une approche cartésienne sûre d'elle même.
Tu me trouves parfois dur avec les Serbes ? Ha, ha ! Je pense que certains croates doivent aussi me trouver dur avec eux et je ne suis pas sûr que tous les Bosniaques aient apprécié mes posts sur leur pays. En fait, je ne roule pour personne mais j'ai mes idées, et je confesse une empathie profonde pour la Bosnie-Herzégovine, parce que quoi qu'on dise, ce sont les habitants de ce pays les plus niqués dans tout ça.
Le fait est que, pour des raisons d'ordre privé, la Serbie est l'un des territoires que je connais le mieux en ex-YU, donc je suis peut être un peu + sévère ;-) mais j'essaye de pourfendre les travers de chacun. Ceci dit, ma sévérité, peu importe à qui elle s'adresse, est plutôt là pour dire "les gars, vous vous plantez, là !". Je le dis en ami, et comme tu l'as dit toi même dans un de tes posts "les amis, ça sert à ça" ;-)
Je connais plein de Serbes qui sont des gens formidables et qui essayent de faire avancer leur pays mais c'est vrai que je n'arrive pas à me taire par rapport à certains gâchis et conneries qui minent encore et toujours ce pays.
"... mais c'est vrai que je n'arrive pas à me taire par rapport à certains gâchis et conneries qui minent encore et toujours ce pays."
RépondreSupprimerQui aime bien châtie bien.
Continue à dénoncer les politiques pourries, les postures rétrogrades, c'est aussi pour ça qu'on vient ici.
:)