Ses petites histoires en forme de tranches de vie ou de réflexions partagées, souvent insolites, parfois échevelées, mais toujours étrangement justes et proches, rendent Zograf immédiatement attachant.
Comme un grand frère ou un vieux pote, on a l’impression de le connaître depuis toujours. Ses livres (disponibles en Français) nous parlent bien sûr de la Serbie, de la vie là bas d’un mec, dessinateur de BD et amateur de rock’n’roll, aux envies et préoccupations pas franchement différentes des nôtres. C’est là le grand talent de Zograf que de nous ouvrir à la fois une fenêtre sur son pays, tout en sonnant universel.
Le projet Face The Reflection consiste en un dialogue par l’image entre jeunes photographes de Belgrade et de Pristina. Pendant 10 semaines, via le net, les artistes ont posté des photos sur un site dédié, la première photo postée indiquant le thème de la semaine. Aucun commentaire n’accompagne les photos, ni le nom de l’auteur : hormis quelques graffitis ou affiches qui parfois trahissent le lieu où le cliché a été pris, impossible de savoir si telle scène se déroule au Kosovo ou telle autre en Serbie. L’idée est précisément de décontextualiser la photo pour mieux faire ressortir les éventuels points communs.
Le thème du projet qu’elle devait réaliser à la fin de son stage était tout trouvé, c’était Face The Reflection.
La presse de Belgrade, habituellement assez crispée sur la question du Kosovo, a bien couvert l’événement. « Belgrade et Pristina peuvent fonctionner ensemble » titrait un média en vue.
Bref, un projet simple et enthousiasmant qui prouve que ce ne sont pas les cultures différentes qui divisent les gens, mais plutôt l’inculture.
Reste à espérer que quelques galeristes ou organisateurs français repèrent cette expo passionnante et permettent au public d’ici de la découvrir.
La tradition satirique
La situation, passée ou actuelle, de la Serbie, est du pain béni pour qui possède le sens de la satire et de la caricature. La tradition est ancienne et s’épanouit encore aujourd’hui dans un humour grinçant, parfois déstabilisant pour l’occidental, car recourant volontiers à la noirceur et à l’autodérision. Cet humour s’exprime autant chez l’homme de la rue que parmi de nombreux dessinateurs de presse ou artistes.
L’histoire récente a aussi vu l’arrivée d’une génération plus cynique et plus trash : sous Milosevic, ce fut notamment « Nasa Krmaca » (« Notre Truie »), mélange de Hara-Kiri et de Charlie Hebdo à la sauce serbe.
Rankovic était un ministre serbe des années 60
qui mena particulièrement la vie dure aux Albanais du Kosovo.
(c) Nasa Krmaca
impliqué dans la contrebande de cigarette pendant la guerre.
Tout voyageur arrêté à Belgrade, pour cause d’escale sur son vol Antalya-Paris ou de pause inopinée au retour d’un trekking en Turquie, vous le dira avec dédain : « Peuh ! Belgrade c’est moche ! ».
Certes l’amateur d’unité architecturale, le touriste espérant retrouver un semblant de Prague, et l’intégriste de Dubrovnik, resteront en effet sur leur faim. Belgrade, ville fondée par les Celtes et « carrefour des civilisations », a subi les assauts de tous ceux qui passèrent par là où se disputèrent la région. Elle en porte les cicatrices : pas de centre médiéval, mais des grands boulevards, un agrégat de quartiers, d’époques, d’architectures. Aujourd’hui, avec ses infrastructures routières des années 80, son métro en projet depuis 30 ans, ses massacres immobiliers, et ses stigmates à ciel ouvert des bombardements de l’OTAN, la ville semble assez rebutante au premier abord.
Pourtant, celui qui se donne la peine de la découvrir, se prend vite à l’aimer. Est-ce précisément en raison de sa façon de révéler ses trésors au détour de ballades par les chemins de traverses ? Son alliage de brasseries surannées avec serveurs en costumes singeant Vienne et la Mitteleuropa, et de « kafanas » typiquement balkaniques, ou on boit le schnaps assis sur des tabourets ? Son télescopage improbable d’églises orthodoxes, de bicoques villageoises, de palais communistes, d’HLM noircis au gaz d’échappement et de façades jugendstil? Son énergie trépidante, qui s’exprime lorsque la foule bigarrée déferle toute en fluidité dans ses rues piétonnes aux allures de corso ? Sa pulsation urbaine, que l’on ressent sur ses boulevards engorgés, au pied de buildings qui lui donnent tous les attributs d’une métropole ? Son rythme frénétique qui électrise sa vie nocturne ? Sa jeunesse décontract’, abordable et polyglotte (sauf autour des stades de foot) ? Son histoire compliquée et contradictoire qui la hante tel un fantôme ?
Nul ne sait, mais celui qui arpente une première fois le pavé de Belgrade y revient et y prend goût.
Comme Berlin, Bruxelles, Brest, Marseille et bien d’autres villes qui ne se donnent pas au premier regard, Belgrade séduit par sa façon d’être paradoxale, inclassable et imprévisible. Une destination borderline de choix pour tout routard en mal de nouvelles sensations urbaines !
Pour essayer de « comprendre les Balkans », il faut commencer par regarder la structure des villes à partir de Graz, à la frontière slovène, jusqu’à Nis au sud de la Serbie. Quasiment toutes les villes sont bâties autour ou à proximité d’une forteresse, et celle-ci est toujours debout. La peur des Turcs Ottomans, qui déferlèrent sur les Balkans et montèrent jusqu’aux portes de Vienne, et la peur des envahisseurs de toute sorte, des guerres, habitent, telle un fantôme, ces places-fortes.
A Belgrade, Kalemegdan, l’ancienne forteresse, est devenue un agréable lieu de promenade, avec vue imprenable sur la ville basse et la plaine pannonienne. Pourtant, de la tombe d’un pacha, que viennent encore visiter les musulmans superstitieux, au club de rock « Barutana » (« La poudrière »), en passant par les infâmes courts de tennis installés dans les douves, et les portes massives aux noms fleurant l’Orient (« Porte d’Istanbul »), Kalemegdan porte en elle l’histoire et les contradictions de la Serbie.
A Nis, Cele Kula (prononcer « Tchyélé Koula »), la « tour des crânes », est un monument d’un genre particulier, construite par le pouvoir Ottoman au XIXe siècle avec les crânes d’insurgés serbes, dans le but de réfréner toute velléité de rébellion. Ce monument morbide est lui aussi un symbole. Il témoigne de la brutalité de l’occupant, et plus globalement de l’histoire effroyablement sanglante de cette partie de l’Europe, où la violence semble revenir comme une malédiction. Lamartine y a posé sa prose, les nationalistes serbes l’ont instrumentalisé, les rockers locaux en ont fait un mythe gothique.
Kalemegdan et Cele Kula ne sont ni la Serbie, ni l’illustration d’un atavisme violent qui caractériserait ce pays. Ces monuments sont cependant quelques unes des clés qui permettent de saisir pourquoi les peurs et les passions, justifiées ou irrationnelles, sont toujours à l’œuvre dans l’inconscient collectif balkanique.
Moi je voulais simplement te dire merci !
RépondreSupprimer