dimanche 17 juillet 2011

SOUS LA PLAGE, LES PAVES...OU LA CROATIE DE L'AGE DE PIERRE

"La Croatie peut bien avaler ça" (slogan de la gay pride de Zagreb en 2010). 
Mais tous les Croates n'avalent pas...
(C) Zagreb Pride Udruzenje


Après le terrible fiasco de la gay-pride de Split, le 11 juin dernier, qui fit passer les ratonnades de celle de Belgrade pour un joyeux bizutage, et alors que la Croatie vient d’obtenir son sésame pour l’UE…un petit billet en forme de pamphlet sur les contradictions de ce pays charmant où vous venez peut-être de réserver une villa club-med’ début août sans vous douter de rien…
"La Croatie : la Méditerranée telle qu'elle fut un jour"
(c) Office du Tourisme Croate

Des discours officiels à la propagande touristique, en passant par l’homme de la rue, tout « bon Croate » vous le dira : la Croatie est un pays raffiné, pétri des valeurs (de préférence chrétiennes, et de préférence catholiques) de la grande famille européenne, et riche des cultures de la Méditerranée, ce « carrefour des civilisations » unique au monde, surtout au mois d’août dans les interminables bouchons qui s’étalent sur la route vers Dubrovnik. Ne parlons pas de sa langue unique et multiséculaire, qui faillit disparaître pour cause d’infâme yougoslavisme cosmopolite, ce dernier l’accouplant dans un mariage contre-nature avec cet idiome barbare qu’on nomme le serbe. La prodigieuse créativité des académiciens croates, grassement payés par le contribuable pour inventer des néologismes croatocompatibles, a heureusement permis de débarrasser en partie la langue de ces affreux éléments étrangers.

Le haut degré de civilisation de ce pays formidable, qui suscite l’admiration du monde entier (et notamment des agences de voyage), s’est exprimé récemment, à Split, métropole de l’Adriatique et deuxième ville du pays.

La saison touristique y a démarré sur les chapeaux de roue. Pampelune en Espagne a ses lâchers de taureau, Split a eu son lâcher de néofascistes, venus ratonner les courageux participants de la première « gay-pride » locale.

"Bienvenue à Pierre dans la Gueule."
"Split, Belgrade sur mer" 
(Jeu de mot faisant allusion à la ville Dalmate de Biograd Na Moru, et à Beograd=Belgrade, connue pour ses gay-prides particulièrement "musclées")
"La Croatie : la Méditerranée, telle qu'elle fut au Moyen-Âge"
Photomontage du portail (c) Index.hr


 Le sympathique comité d'accueil du village-vacances de Split...
(C) Jutarnji List

Après Belgrade, où les « gay-prides » se déroulent dans une ambiance de guérilla urbaine, Zagreb, où les LGTB locaux ont, jusqu’à cette année, défilé sous les quolibets et les jets de bouteille, et Sarajevo, où le Queer festival a subi les attaques de « bons musulmans », Split a vibré ce samedi au rythme irrésistible du « Balkan Beat », ce sport balkanique (« Balkan ») qui permet de battre (« to beat ») brutalement tout ce qui est différent (homo, intellectuel, étranger, femme, etc.).

En Croatie les jours de gay-prides, pour bien admirer les vieilles pierres, 
le mieux est de se les prendre dans la gueule!
Photo (c) Index.hr

Outre la célébration de relations contre-nature, la « gay pride » de Split ressuscitait un semblant de Yougoslavie, avec des LGTB venus, par solidarité, de Belgrade et Ljubljana.

Mais les « hiltlerjugends » splitois maîtrisent le lancer de pierre, et ont redonné à la « Riviera Croate » sa dignité de zone hétérosexuellement et ethniquement pure. Quant à la Capitale, si la Zagreb Pride s’y est déroulée sans encombre, c’est simplement (comme le rappelle le journaliste croate Boris Dezulovic) parce qu’elle a eu lieu une semaine après celle de Split : Les « Purgeri » (de l’allemand « Burger », « Bourgeois » : terme péjoratif désignant les habitants de Zagreb) raffinés ne peuvent certes pas plus blairer les tapettes, mais ils vomissent également ces sales péquenauds dalmates. Autant faire bonne figure et se contenter de quelques doigts d’honneur discrets. Les ploucs sudistes se sont occupés du sale boulot. Enfin, à part ça, on est tous Croate. Amen !

La Croatie : la Méditerranée telle que la rêve le macho hétéro

La campagne publicitaire vantant les charmes d’un séjour en Croatie est sans équivoque. Avec un sens subtil du second degré et de la métaphore, les vacances en Croatie sont vendues par une paire de fesses, indéniablement féminines, que le slogan invite à ne pas « griller trop longtemps  au soleil». Toute la tradition poétique de ce peuple infiniment lettré s’exprime dans ses quelques mots. Mais pour le « gay friendly », il faudra repasser !


Evidemment, les frustré(e)s habituel(le)s (féministes, intellos, antifascistes et antisexistes) ont dénoncé le machisme de la campagne, et la blogosphère alternative croate s’est enflammée. 

Contre-attaque lesbienne, loin des clichés siliconés qui remplissent les pages des tabloïds croates en ce moment.
"La méditerranée telle qu'elle est vraiment"
(c) Zagreb Pride Udruzenje
 
Heureusement, ces mauvais croates rabat-joie ne sont pas parvenus à menacer en profondeur les objectifs de la campagne : imaginez les conséquences pour l’économie croate, si le mâle anglais, français ou suédois ne vient plus baiser nos femmes après le set de David Guetta au Macumba de Sibenik !

La Croatie a besoin d’argent, et tant pis si le littoral se bunkerise et que les routes saturent : en Croate moderne, capitalisme se dit « tourisme de masse ».

Cette campagne fessière atteint également des performances qui meublent les colonnes estivales des rubriques « faits divers » des tabloïds croates, à savoir les viols et agressions sexuelles, que subissent les filles locales ou les petites anglaises, par de beaux soirs d’été, lorsque le soleil se voile doucement sur la ligne bleue de Hvar.


Le Pape en Croatie : Gott Liebt Die Kroaten !

Qu’une pair de fesse vante la Croatie sur le marché du tourisme semble même avoir l’accord de l’église pédoph…, pardon catholique : la manne que représente la saison estivale a sans doute été réinvestie dans la récente visite du pape qui a coûté plus de 2 millions d’euros, alors que l’église catholique croate bénéficie de près de 46 millions d’euros par an de l’Etat.

La mode spéciale Benoît XVI : après les fesses pour le tourisme, une poitrine généreuse pour dire "Ensemble dans le Christ" (...pas trop dedans, quand même !)


Pour éviter la grande Serbie, rien de tel qu'une bonne bénédiction Urbi et Orbi

Mais être le rempart de la chrétienté catholique n’a pas de prix. L’éducation religieuse permet de rappeler que l’homosexualité, c’est mal, comme le dit La Bible. Les jeunes précaires et les 300 000 chômeurs croates se sentent tellement mieux depuis que Benoît XVI leur a apporté sa bénédiction urbi et orbi, et a réhabilité le cardinal Stepinac
"Splitsko stanje uma" ("L'état d'esprit de Split"), par le groupe local TBF...
Une chanson aux allures de requiem qui raille une ville minée par la drogue et les bastons, où tout le monde se la joue, où règne "le tempérament", mais où finalement rien ne change...


Pour revenir aux festivités Splitoises, on ne saurait évidemment que recommander la visite de cette cité dont les habitants aimeront vous rappeler qu’elle trône face à l’Adriatique depuis l’Antiquité.


C’est ce sens inaliénable de l’Histoire qui anime sans doute le maire (photo), qui rêve de transformer le front de mer en vaste beach-clubbing bétonnisé…ce qui permet de faire bosser les boîtes des copains (l’amitié, c’est sacré), et de refiler certains bizness à sa maîtresse (les fesses, encore les fesses). Zeljko Kerum, cousin croate de Jacques Médecin, Georges Frêche et des frères Kaczinski, élu avec plus de 58 % des voix en faisant du beaufisme un programme politique, est lui aussi un rempart contre le monde dégénéré qui menace la Croatie Eternelle : l’anniversaire du soulèvement contre le fascisme - où Split était à la pointe du combat (et perdit bon nombre de ses enfants) - n’y est pas célébré, sa fille n’épousera jamais un serbe et il a interdit aux homos les meilleurs axes de la ville ! Un boulevard pour la racaille de droite venue « casser du pédé »…

Dernier projet du maire-bâtisseur : une statue de Jésus, plus grande que celle de Rio de Janeiro, qui dominera la ville. Il est vrai qu’il y a urgence, les Serbes ont une longueur d’avance avec leur Christ géant à l’entrée de Kragujevac, et un projet similaire à Uzice.

 La Croix en béton armé à l'entrée de Kragujevac (Serbie). 
Après avoir tout foutu en l'air dans les années 90, on construit sec dans l'ex-Yougoslavie d'aujourd'hui !

Voilà en tout cas qui devrait ravir le chanteur Thompson, hard-rocker catholique de droite, même si son imagerie est plutôt néo-paganiste, et qui prévoit de déménager en Dalmatie.

 ADN catholique mais imagerie paganiste. La Croatie, terre de contrastes.

D'autant que Kerum prévoit aussi d'ériger une statue à la gloire de Franjo Tudjman, "El Libertador", malgré les protestations du mouvement "citoyens de Split" qui rappelle que le "Père de la Nation" Croate a nié l'identité dalmate - appelant la région "Croatie du Sud" - et a par ailleurs ruiné une bonne partie de son économie.




Stillness, des mauvais croates qui s'interrogent sur les destructions immobilières de Split, sur le passé yougoslave (le second clip a été censurée à la TV) et sur la société croate d'aujourd'hui, devenue une "jungle".

Bref, tant pis pour les grincheux de la société civile qui luttent contre la spéculation immobilière, comme le groupe zagrébo-splitois ( !) Stillness qui en plus a pris fait et cause pour la gay-pride, et sample des discours de Tito…Doux Jésus !!?


"Un joyeux Noël et une Bonne Année...vous souhaite le général Ante Gotovina" 
(c) Photo AFP
La Croatie, un pays raffiné où même les criminels de guerre sont polis.

Split, « ville d’Art et d’Histoire », par contre, n’aime pas parler d’histoire récente. Hormis ces sales gauchistes, quelques blogueurs engagés ou ces naïfs prônant la réconciliation, personne ne vous racontera le balai des camions, débarquant au centre ville chargés de frigos, téléviseurs, mobiliers ou chaînes hi-fi, ramenés de Knin ou de Drnis, tout de suite après le passage des troupes de Gotovina et de son opération "Oluja". 

Embouteillages sur la route des vacances ? 
Non, évacuation des Serbes de Krajina, après l'opération "Oluja"

Personne, parmi ceux qui avaient 17-18 ans à l’époque de cette opération, ne vous décrira ce qui était le sommet de la hype chez les teenagers branchés de Split à l’époque : à savoir, faire une virée en Krajina voisine avec quelques potes et des gonzesses, et bringuer dans les baraques fraîchement abandonnées par les Serbes, en matant leurs K7 vidéos et en balançant leurs disques par la fenêtre si la musique n’était pas au goût des fêtards.


Fête de la musique à Zagreb ?
Non, retransmission du procès Gotovina en plein coeur de la capitale.

Tous ces gens, en revanche, vous diront combien Gotovina est un héros et que ce n’est pas criminel de défendre son pays. 


Pop-art militaire sur les routes de Croatie

C’est aussi ce que pense le joyeux comité d’accueil qui a héroïquement protégé sa ville des hordes homo-lesbiques cosmopolites. Le sang impur a coulé

Guca, ses fanfares et ses stands pro-Karadzic, y’en a marre ! Et si on allait, cet été, se faire casser la gueule en Croatie ?

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