"Cent ans de combat altruiste par le Congrès National Africain". C'est en tapant "Jugoslavija Nelson Mandela" sur google image, le jour du décès de l'ancien patron de l'ANC, comme ça, pour voir, que je suis tombé sur ce timbre édité en 2012 par la Poste serbe pour commémorer les cent ans de l'organisation en question.
Les Serbes qui nous jouent la carte du combat pan-africain et de la lutte contre l'apartheid, sympa, n'est il pas ? Je suis sûr que ça en bouche un coin à certains, et c'est précisément pour cette raison que je trouve, au premier degré, ce
timbre
fondamentalement sympathique. Exactement parce qu'il donne une image
de la Serbie rafraîchie, inattendue, presque incongrue, loin de sa mauvaise réputation souvent définie en termes godwiniens, réputation il est vrai encouragée par quelque brutaux supporters, un cinéaste néo-féodaliste, et les "Seselj Srbski Junak"(1) et autres "Smrt pederima" (2) qui constituent une bonne part de l'expression graffitesque sur les murs des villes serbes, leur conférant ce parfum suranné rappelant le Munich du début des années 30.
Les Serbes en champion du militantisme et de la dignité du peuple africain, voilà qui peut surprendre dans un territoire peu "coloré", et où les seuls noirs sont les rappers ou les basketteurs afro-américains, dont les posters ornent les chambres des ados, fans de hip hop comme de ballon orange.
Il fut pourtant un temps pas si lointain où les enfants de l'Afrique foulaient le pavé belgradois (et d'autres villes de la fédération). Jeunesse montante de pays émergents, futurs cadres de nations fraîchement libérées de la colonisation, fils à papa des nomenklaturas africaines, ils venaient se former là, au coeur battant du non-alignement, dont Tito et la Yougoslavie étaient les moteurs (On en avait déjà parlé ici). En ces terres européennes habitées par le messianisme socialiste, et l'optimisme pas encore ébranlé des 70's, certains d'entre eux goûteront volontiers aux divers fruits défendus que les nombreuses concessions du régime yougoslave au mode de vie occidental favoriseront, notamment du côté de la gente féminine. Ils iront parfois jusqu'à fonder des familles ...avant de disparaître brutalement, pour repartir "au bled" retrouver la promise convenue et l'ordre immuable des traditions en vigueur.
Restent les souvenirs de ces temps cosmopolites, quelques orphelins métis, et les hits de Steve Hannington, étudiant Kényan resté à Belgrade après ses études, qui fera carrière dans le show-biz à travers quelques kitscheries musicalement pas inoubliables, mais néanmoins insolites dans leur téléscopage de serbo-croate et d'arrangements afro-pop. Preuve s'il en est de son intégration, Steve Hannington héritera même du surnom de "Steva Sumadinac", Steva "Le Choumadien", du nom de la vallonnée région qui court au sud de Belgrade.
Après des débuts difficiles dans des villages dalmates où les vieilles dames changent de trottoir en le voyant, Roskam est aujourd'hui parfaitement accepté, et bénéficie du patronyme "croatisant" de "Mate". Sa maîtrise de la langue comme sa participation à la défense civile de son village durant la guerre auront favorisé son intégration. Il guide aujourd'hui les touristes francophones visitant Split, et reste, en dépit de certaines tentatives d'instrumentalisation faisant de lui "l'étranger bon croate de service", attaché à la Yougoslavie de l'époque, à son mélange, à la bonne entente qui y régnait, et à la vitalité de la scène rock'n'roll d'alors.
Steve Hannington
En duo avec Zlata Petkovic
Steve Hannington est reparti au pays dans les années 80, et travaille aujourd'hui dans le tourisme à Nairobi. En revanche le belgo-congolais
Jean-Jacques Roskam, ancien guitariste du groupe belge Machiavel, vit toujours avec sa femme croate dans la région de Makarska. Cet OVNI à dreadlocks débarque par hasard dans les 70's, lors d'un voyage, alors que le Yougoslavie est une destination baba-cool/routarde par excellence. Il fera lui aussi carrière dans la musique, jouant dans divers groupes de rock, dont Galija à Nis et D'Boys à Belgrade.
Roskam à l'époque de Galija...
Après des débuts difficiles dans des villages dalmates où les vieilles dames changent de trottoir en le voyant, Roskam est aujourd'hui parfaitement accepté, et bénéficie du patronyme "croatisant" de "Mate". Sa maîtrise de la langue comme sa participation à la défense civile de son village durant la guerre auront favorisé son intégration. Il guide aujourd'hui les touristes francophones visitant Split, et reste, en dépit de certaines tentatives d'instrumentalisation faisant de lui "l'étranger bon croate de service", attaché à la Yougoslavie de l'époque, à son mélange, à la bonne entente qui y régnait, et à la vitalité de la scène rock'n'roll d'alors.
...aujourd'hui
Sa participation à la "guerre patriotique" se borne à avoir protégé sa maison et son village, précisera-t-il, sans qu'il n'ait développé d'animosité envers les Serbes en général comme ennemi atavique. C'est d'ailleurs avec joie qu'il a accepté de rejouer récemment à Belgrade, "ville où il s'est toujours senti bien", avec ses anciens comparses de Galija.
C'est précisément dans cette époque ouverte des années 70, où la Yougoslavie est à la fois un terrain d'aventure séduisant pour les jeunes touristes en mal de sensation, et le bastion du non-alignement, posé entre l'est et l'ouest, mais aussi entre le nord et le sud, qu'il faut chercher les éventuels messages cachés de ce timbre célébrant Mandela. Car bien évidemment, en ex-YU comme ailleurs, rien n'est anodin ...y compris en philatélie.
Première découverte suivant celle de ce timbre, un texte fort éclairant, glané sur le net, explique combien le mouvement des non-alignés à contribué à la fin de l'apartheid. L'Afrique du Sud nouvelle adhère à ce mouvement en 1994, alors qu' en Europe, la Yougoslavie est déjà plus que lézardée. Les deux pays auront pourtant ouvert des relations diplomatiques en 1992 (!).
Se posant en garante de l'intégrité territoriale de la Yougoslavie, la Serbie en est, autant de facto que par choix stratégique, devenue l'héritière. Elle conserve d'ailleurs le nom de Yougoslavie durant les années Milosevic, même si cette Yougoslavie, vidée d'une partie de ses substances et remodelée à la sauce du nationalisme serbe, est peu en phase avec son modèle élaboré à Jajce en 1943.
Cette continuité s'est aussi exprimée dans une volonté de recycler certains axes de la politique yougoslave, et, en particulier, les autorités serbes ont cultivé certaines "amitiés" nées du temps des non-alignés, malgré l'exclusion de la Nouvelle Yougoslavie serbisée de la grande famille. Milosevic s'appuiera sur d'obscurs soutiens en quelques tristes tropiques, notamment avec l'ancienne Birmanie, devenue le Myanmar, ses moussons et sa junte étouffantes.
En 1999, alors que les bombes de l'OTAN pleuvent sur la Serbie, Nelson Mandela déclare ne pas être opposé à accueillir Milosevic en Afrique du Sud, si celui-ci venait à y fuir, tout en condamnant sa politique. Il manifeste néanmoins une certaine indulgence quant à la probable mise à l'abri d'une partie de sa fortune du côté de Pretoria.
C'est Vuk Jeremic, l'insupportable et encombrant fils à papa qui servit de Ministre des Affaires Etrangères durant les années Tadic qui tentera avec le plus d'opiniâtreté de ranimer les mouvements des non-alignés, et de réactiver les leviers d'influence de la Serbie sur le continent africain. Bien qu'il n'ait jamais retrouvé la dynamique ni l'impact insufflés par Tito, il faut cependant reconnaître certains succès à cette politique, et les relations consolidées avec l'Afrique du Sud font partie de cette réussite.
Se posant en garante de l'intégrité territoriale de la Yougoslavie, la Serbie en est, autant de facto que par choix stratégique, devenue l'héritière. Elle conserve d'ailleurs le nom de Yougoslavie durant les années Milosevic, même si cette Yougoslavie, vidée d'une partie de ses substances et remodelée à la sauce du nationalisme serbe, est peu en phase avec son modèle élaboré à Jajce en 1943.
Cette continuité s'est aussi exprimée dans une volonté de recycler certains axes de la politique yougoslave, et, en particulier, les autorités serbes ont cultivé certaines "amitiés" nées du temps des non-alignés, malgré l'exclusion de la Nouvelle Yougoslavie serbisée de la grande famille. Milosevic s'appuiera sur d'obscurs soutiens en quelques tristes tropiques, notamment avec l'ancienne Birmanie, devenue le Myanmar, ses moussons et sa junte étouffantes.
En 1999, alors que les bombes de l'OTAN pleuvent sur la Serbie, Nelson Mandela déclare ne pas être opposé à accueillir Milosevic en Afrique du Sud, si celui-ci venait à y fuir, tout en condamnant sa politique. Il manifeste néanmoins une certaine indulgence quant à la probable mise à l'abri d'une partie de sa fortune du côté de Pretoria.
C'est Vuk Jeremic, l'insupportable et encombrant fils à papa qui servit de Ministre des Affaires Etrangères durant les années Tadic qui tentera avec le plus d'opiniâtreté de ranimer les mouvements des non-alignés, et de réactiver les leviers d'influence de la Serbie sur le continent africain. Bien qu'il n'ait jamais retrouvé la dynamique ni l'impact insufflés par Tito, il faut cependant reconnaître certains succès à cette politique, et les relations consolidées avec l'Afrique du Sud font partie de cette réussite.
Vuk Jeremic et Maite Nkoana-Mashabane,
Ministre des Affaires Etrangères d'Afrique Du Sud.
Ministre des Affaires Etrangères d'Afrique Du Sud.
Wikipédia nous apprend que 20000 Serbes vivent en Afrique du Sud
et que des entreprises sud-africaines construisent en Serbie. Nelson Mandela est citoyen d'honneur de la Ville de Belgrade. La Serbie de Jeremic s'est trouvée un allié de poids auprès de l'Afrique du Sud, qui s'est notamment engagée à ne pas reconnaître l'indépendance du Kosovo.
Du coup ce
timbre prend une autre couleur à la lumière de ces réalités
géopolitiques, et derrière le soutien - encore une fois sympathique - de la Poste serbe au combat de l'ANC, à
son altruisme, à son leader, modèle d'humanisme et de détermination, et à
son passé révolutionnaire (à l'instar du passé socialiste de la Serbie?)
se cachent peut être quelques discrets renvois d'ascenseurs...
Ironie du sort, Ibrahim Rugova (ci-dessus), militant non-violent de l'indépendance kosovare, au temps où la population albanaise subissait une forme d'apartheid de la part du pouvoir serbe, fut surnommé parfois le "Mandela Albanais". Les mauvaises langues et les
conspirationnistes le qualifiaient cependant volontiers d'idiot utile ou de pantin de
Milosevic. Ironie du sort encore, face à cet intellectuel cultivé, relativement
modéré, mais au look dégingandé, l'Histoire préférera sans doute
retenir son ténébreux successeur, Hashim Taçi, un rouleur de mécanique
dont les costards et les sourires "cheese" masquent mal le passé trouble
de guérillero mafieux.
Les héros d'aujourd'hui ne sont pas ceux
qui, malgré les coups et les humiliations, ont patiemment construit la
page qui devait se tourner, mais ceux qui brûlent les livres du passé
pour mieux régner sur leurs peuples qu'ils espèrent maintenir dans l'inculture. Autres temps, autres
moeurs.
C'est avec ce timbre et le souvenir de Mandela que, d'une part, Yougosonic inaugure sa nouvelle rubrique intitulée "iconoclasme", notre "arrêt sur image" à nous, avec tous les décodages et décryptages qui vont avec.
D'autre part, nous baissons le rideau sur l'année 2013 avec ce beau visuel consensuel d'un héros noble et positif. Profitez en bien, car au trombinoscope de 2014, les tronches s'annoncent beaucoup plus polémiques dans la Yougosphère. Il faudra compter, au moins jusqu'à la fin du premier semestre, avec la mine patibulaire de ce type là, qui va tourner en boucle, avec les deux images qui suivent.
D'autre part, nous baissons le rideau sur l'année 2013 avec ce beau visuel consensuel d'un héros noble et positif. Profitez en bien, car au trombinoscope de 2014, les tronches s'annoncent beaucoup plus polémiques dans la Yougosphère. Il faudra compter, au moins jusqu'à la fin du premier semestre, avec la mine patibulaire de ce type là, qui va tourner en boucle, avec les deux images qui suivent.
Nous entrons dans l'année du centenaire de l'une des grandes boucheries, dont l'Histoire de l'humanité en général, et notre XXe siècle en particulier, furent si coutumiers. Outre les commémorations annoncées, et une probable remontée au créneau des historiens, au grand bonheur du milieu de l'édition et de la presse en crise, le sang versé le 28 juin 1914 à Sarajevo fait déjà couler beaucoup de salive et d'encre pixellisé: entre ceux qui pensent que Gavrilo Princip était un "Srbski Junak" ou un "libertador" panslave, et les autres qui ne voient qu'un naïf bouffé par une cause plus grosse que lui, ou encore un terroriste brisant l'élan de modernité apporté par le savoir-faire autrichien en ces terres barbares....
Ce blog se glissera sans doute ça et là dans le débat, après que j'eu fini d'ingurgiter les arguments des uns des autres, même si on a déjà ici notre petite idée sur la question. Cette idée prend le visage joufflu et moustachu du colonel "Apis" et de ses complices, incarnation grotesque de ce lobby militaire qui presque jusqu'à nos jours dirigera la Serbie et mènera son peuple à sa perte via des calculs cyniques et des choix machiavéliques, selon les conseils avisés ;-) et l'appui désintéressé ;-) de Moscou et de quelques autres.
Gavrilo Princip? Un gamin serbe envoyé au casse-pipe au nom de sombres intérêts stratégiques et autres chimères nationalistes déguisés en idéaux romantiques, triste précurseur d'autres gamins du panslavisme (devenu moribond), qui seront sacrifiés eux-aussi au début des années 90. Leurs survivants se passeraient bien de cette sortie du cadavre de Princip des placards du centenaire de 14-18, qui risque de raviver nombreux malaises et désaccords maintenus en coma artificiel par les accords de Dayton. A défaut de Mandela, les huiles occidentales viendront à Sarajevo le 28 juin 2014 refaire le coup du "plus jamais ça" aux locaux incrédules, pour mieux masquer leur absence de projet et de vision pour la région. Peut être qu'un Gavrilo Princip viendra au moins les entarter...
En attendant, Yougosonic vous souhaite, chers lectrices et lecteurs, une très bonne année 2014 !
Ce blog se glissera sans doute ça et là dans le débat, après que j'eu fini d'ingurgiter les arguments des uns des autres, même si on a déjà ici notre petite idée sur la question. Cette idée prend le visage joufflu et moustachu du colonel "Apis" et de ses complices, incarnation grotesque de ce lobby militaire qui presque jusqu'à nos jours dirigera la Serbie et mènera son peuple à sa perte via des calculs cyniques et des choix machiavéliques, selon les conseils avisés ;-) et l'appui désintéressé ;-) de Moscou et de quelques autres.
Dragutin Dimitrijevic "Apis" (à droite) fomentant sans doute quelque
mauvais coup de poker géopolitique.
Gavrilo Princip? Un gamin serbe envoyé au casse-pipe au nom de sombres intérêts stratégiques et autres chimères nationalistes déguisés en idéaux romantiques, triste précurseur d'autres gamins du panslavisme (devenu moribond), qui seront sacrifiés eux-aussi au début des années 90. Leurs survivants se passeraient bien de cette sortie du cadavre de Princip des placards du centenaire de 14-18, qui risque de raviver nombreux malaises et désaccords maintenus en coma artificiel par les accords de Dayton. A défaut de Mandela, les huiles occidentales viendront à Sarajevo le 28 juin 2014 refaire le coup du "plus jamais ça" aux locaux incrédules, pour mieux masquer leur absence de projet et de vision pour la région. Peut être qu'un Gavrilo Princip viendra au moins les entarter...
En attendant, Yougosonic vous souhaite, chers lectrices et lecteurs, une très bonne année 2014 !
Pour
conclure
et illustrer nos voeux,
ayons une pensée émue pour le "dévoué facteur Marko
Lazarevic" qui, pour la nouvelle année 1914, souhaitait tout le
meilleur à ses congénères, du moins ceux de son périmètre de
travail, via une sympathique tradition qui s'est, ça et là,
perpétuée jusqu'à nos jours.
Nul ne sait ce qu'il est
vraiment advenu du brave facteur Lazarevic et de ses congénères,
mais vu la période, ce n'est pas trop difficile à imaginer...
(NB:
sur l'image, au fond, les villes macédoniennes de Bitola, Kumanovo
et Skopje, orthographiées
en serbe, la Macédoine comme sa langue n'ayant pas encore à cette
époque de reconnaissance officielle...)
(1) "Seselj Héros Serbe": notons que l'orthographe correcte actuelle est "Srpski" et non "Srbski". Point d'illettrisme chez les adeptes du sociologue paramilitaire qui rêvait d'arracher les yeux aux Croates à coup de fourchette au début des années 90. Le "b" correspond à une orthographe aussi archaïque que les idées défendues par ces graffitis.
(2) "Mort aux pédés"
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