samedi 30 novembre 2013

AU NOM DU NON

Demain dimanche a lieu en Croatie ce que les progressistes locaux appellent "le référendum de la honte": les talibans cathos du mouvement "u ime obitelji" ("Au nom de la famille") sont parvenus à obtenir qu'un référendum soit organisé - au frais du contribuable croate (!), déjà précarisé par des années de "transition" - pour demander à la population si elle est "ZA" (pour) ou "PROTIV" (contre), que la constitution croate stipule que "le mariage est l'union d'un homme et d'une femme", et UNIQUEMENT cela. Sous entendu, "mariage pour tous" à la croate, pas question !


"Mariage = femme + homme
Tout le reste est quelque chose d'autre"
Le slogan du mouvement.

Justement, pour la petite histoire, ou la grande avec un grand H (on verra dimanche dans quel sens les Croates veulent aller), les "obiteljistes" ont puisé leur inspiration du côté de la "manif pour tous". Comme quoi, la "France des lumières" éclairant le monde, c'est terminé. 

 Comme une impression de déjà vu...
"Manif pour tous", version croate

La France éclaire toujours, certes, mais plutôt dans des tons entre le brun marine, et le vert kaki des tailleurs, si sexy quand assortis avec les traditionnels mocassins, des bonnes bourgeoises catholiques qui vous bloquent avec leur 4x4 lorsqu'elles viennent chercher leur nombreuse progéniture devant quelque coûteuse boîte à bac, intitulée "Saint-"quelque chose.


Zeljka Markic ...à vous dégoûter de la famille !

Les amis croates de la famille ont eux aussi leur Frigide Barjot, sans cependant le style "descente de coke qui a viré en apparition de la vierge" et le lourd passé "d'amour avec deux doigts" de la pasionaria de nos catho-talibans à nous. Zeljka Markic est un croisement bionique de Bécassine du Zagorje et de matrone de bénitier élevant une dizaine de chiards pour le compte du très Haut. Sa simple vue donne envie d'être orphelin ou de militer pour la décroissance nataliste.


Mais que s'est-il donc passé en Croatie ? Il y a deux ans, ici même, on titrait fièrement "Croatia after dark", et on relevait l'impulsion des mobilisations citoyenne et artistiques dans la sortie de route progressive du pays, hors des sentiers battus du conservatisme. Well, les choses ne sont pas si simples, et il aurait été naïf de penser que la sphère catho-talibane et nationaliste accepterait de céder ses parts de marchés idéologiques sans coup férir (pour bien saisir le contexte, lire la tribune de l'écrivaine Slavenka Drakulic traduite par l'excellent "Dico Croate"). 

Dans un pays où le clergé prend les ordres auprès de l'Opus Dei, où une illuminée "néo-con" comme Judith Reisman peut animer des conférences à l'université, où le HDZ a besoin de faire oublier 20 ans de magouilles, et où le gouvernement social-démocrate, aussi mou et plat que le nôtre, a fort habilement détourné la population des "vrais problèmes" sous couvert de donner à la minorité serbe le droit d'utiliser son alphabet, tendant une perche en or à tous les excités de la Nation Croate Eternelle, il fallait s'attendre à un retour de manivelle à droite de la droite. 
 
 Meme satirique représentant le Premier Ministre Croate Zoran Milanovic :
"Remettons en une couche avec le cyrillique, 
et plus personne ne parlera de notre liquidation du bien public"
On peut remplacer la tête de Milanovic par celle de J.M. Ayrault

et "cyrillique" par "Roms", "Burqa", "Ecotaxe", "Bretons en colère" (liste non exhaustive).

De la même façon d'ailleurs, nos sociaux-démocrates à nous ont très habilement laissé pourrir la question du "mariage pour tous" dans la rue, pour mieux détourner leur électorat progressiste des ratonnades d'écolos dans les clairières de Notre Dame des Landes, et autres baissage de froc gouvernementaux sur différentes questions sociales et politiques....


Pour revenir à la Croatie, on l'a déjà dit ici, donner des jobs aux Serbes, et se mobiliser contre les discriminations qu'ils subissent parfois dans leur quotidien aurait été plus pertinent que d'apposer quelques panneaux utilitaires en cyrillique dans le texte à Vukovar, la cité "trade-mark" de la souffrance et de l'instrumentalisation politique de cette dernière. Dans cette ville qui attend toujours le Godot d'un projet d'avenir sur le plan social, économique, urbanistique et culturel, ce sont surtout les ONG et de nombreux anonymes qui oeuvrent au quotidien pour l'apaisement et la réconciliation. A part ça, les politiques viennent une fois l'an commémorer, et les nombreux lobbies (anciens combattants, extrême-droite, etc.), dont l'agenda politique est encore celui de 1991, viennent verser leurs larmes aussi bruyantes qu'hypocrites, pour mieux masquer le machiavélique abandon de la ville par Tudjman, afin d'en faire la "ville-martyr" que l'on sait. On a vu ces dernières semaines jusqu'où sont allés les nationalistes dans cette ville, qui, pour détourner une formule de Slavoj Zizek (voir ici), "aurait plutôt besoin de discrétion" que de commémorations en forme de jeu dangereux pour la démocratie.

 On peut aussi être CONTRE ("Protiv") en cyrillique.
Après les LGBTI, interdiction des mariages entre Croates et Serbes ?



Mais, et c'est la bonne nouvelle, toutes ces provocations, dont le référendum intégristoïde est la partie émergée de l'iceberg, ont suscité une réaction citoyenne sans précédent. De nombreux Croates craignent à juste titre qu'après les homosexuels, visés par l'initiative, et la minorité serbe, visée par les agitprops nationalistes qui cassent du panneau cyrillique apposé sur les bâtiments administratifs de Vukovar, les conservateurs s'en prennent au reste de la population, selon le principe décliné dans le célèbre poème attribué à Martin Niemöller, lequel a d'ailleurs tourné en boucle sur les réseaux sociaux, avec de nombreux autres images, photomontages, collages, caricatures et slogans, dont nous partageons ici quelques exemples.

Le poème de Martin Niemöller, d'une bruyante actualité, et pas seulement en Croatie.


Une bonne partie de la presse écrite, pourtant globalement plus proche de France Soir que du Monde Diplomatique, a pris, parfois ouvertement, fait et cause contre la régression que constitue la campagne "au nom de la famille". 

 A Rijeka, hier, des comédiens ont organisé un faux mariage homosexuel, "en cage",
sur la principale artère piétonne de la ville.
(Photos "Mojarijeka.hr")



Le groupe choral lesbien "Le Zbor"
pose sur sa page facebook déguisé en "groupe d'intervention" 
Sur la pancarte "1.12, journée nationale du combat contre l'homophobie"

Même la chanteuse de variétoche Severina, pourtant cible des assos LGBTI il y a quelques années, pour cause de positions homophobes, a viré sa cuti et a rejoint le camp du "Protiv", au nom de la liberté, citant elle même Niemöller. Elle emboîte le pas en quelque sorte à sa cousine serbe Jelena Karleusa, qui a de longue date pris fait et cause pour les droits des homosexuels (on en avait parlé ). De nombreuses personnalités ont également pris position pour le "contre". 

Dans la catégorie "la diversité, c'est sexy", le rapper de Slavonie (région de Vukovar), Kandzija, a fait appel à une "chaude" représentante d'une minorité nationale flanquée d'un "u ime obitelji" sur les fesses, pour illustrer son clip, qui, malgré la censure, tourne abondamment sur les réseaux sociaux. "J'ai mis exprès une gonzesse pour que les homophobes aient quelque chose à regarder". Le texte (inspiré de faits réels précise Kandzija) parle, pour faire court, d'un Ljubo, officiellement facho, raciste, violent et catho, pour mieux masquer son homosexualité latente, qui s'exprime la nuit sur le net... Ljubo finira avec un Serbe métis de Kényan... Doux Jésus !!



Avant de virer au turbo-érotique, la vidéo rappelle en ouverture qu'elle est "contre tous ceux qui cherchent à imposer leur mode de vie aux autres", qu'il y a 356 133 chômeurs en Croatie, "parmi lesquels même peut-être des Serbes, et même peut-être des homosexuels. Et vous ne le croirez pas, la plus grande menace pour le pays sont les parents célibataires (visés également par les "obiteljistes" NDA)". 

 Couverture du magazine culturel et sociétal "Zarez" ("Virgule")
avec l'oeuvre "Referendoom" (doom=ruine, déchéance) signée de Ivan Antunovic.
Extrait du texte sous la pieuvre :
"Le chêne octopus (allusion au parti HRAST, mot signifiant "chêne", qui est derrière la campagne "u ime obitelji", NDA), est une variété parasite (...) qui se développe principalement dans les pays où règnent dans des proportions importantes l'hypocrisie, la corruption, l'exclusion, la pression sociale et les préjugés, en particulier à l'égard de la population homosexuelle. (...) Le chêne octopus pousse sous la forme de nombreuses tentacules (allusion aux nombreux liens souterrains du mouvement, de l'Opus Dei aux néoconservateurs fondamentalistes américains, NDA). Si on ne réagit pas à temps, il devient de plus en plus difficile d'arrêter sa croissance."
A droite, "mrak" signifie "obscurité".


Le logo de la compagnie de danse/théâtre "Montazstroj" (dont on a parlé ici), marquée du fameux "Protiv". 

Mais c'est la mobilisation des milliers d'anonymes, y compris chez les croates de l'étranger (ce qui file un gros coup de vieux au cliché de "l'émigration oustachie"), qui donne l'espoir que le pays parvienne à s'affranchir de la mise sous cloche conservatrice que l'indépendance à favorisé.

 Des Croates travaillant aux Institutions Européennes de Bruxelles.
"Nous votons CONTRE"

 "La constitution N'EST PAS un jouet"
Banderole déployée jeudi soir en marge du concert "PROTIV" organisé sur la Place Bana Jelacica, le lieu de tous les rassemblement à Zagreb, et auquel participait la fine fleur du rock croate (TBF, LET3, St!llness, Psihomodo Pop...).

 "Le camp du "CONTRE" écoute des meilleurs groupes. Le 1.12, vote contre"
Je confirme !

La vraie indépendance, ce serait ça: une Croatie démocratique, ouverte, sécularisée et à la diversité assumée... On peut rêver, bien sûr, mais les événements actuels permettent un peu d'optimisme, même si l'issue du référendum reste très incertaine (certains sondages donnent le ZA gagnant, d'autres le PROTIV). Dans tous les cas, la conscience civique et politique progresse en Croatie, et si demain, la famille l'emporte sur les droits des LGBTI, on aura perdu une bataille mais pas perdu la guerre.

Chez Yougosonic, cela ne surprendra personne, on est évidemment aussi PROTIV qu'on peut l'être face à cette initiative. La vision de la famille préconisée par Zeljka Markic rappelle que l'oppression dont souffre l'individu, peut commencer là, à petite échelle, entre liens du sang, première communion, tartes dans la gueule, parcours imposé, différence niée, héritage disputé... avant de se taper la pression de l'Etat, de l'idéologie dominante, du troupeau. 
"Travail famille patrie", comme le disait la Sainte Trinité de la France des lumières pétainistes. "Dieu Famille et Pays" scandaient les Oustachis (voir ci dessous), dont les continuateurs tentent d'imposer un remake à l'ensemble de la Croatie, laquelle semble pourtant peu à peu se tourner vers l'avenir et non cultiver le passé.



Un hit yougosonique connu en ces pages, Borghesia qui déjà au milieu des années 80
interrogeait l'oppression de la trinité du 
"Brak - Obitelj - Domovina"
("Mariage - Famille - Pays")
Bien que la chanson visait complètement une autre société, 
régie par d'autres dogmes, il est troublant que son propos reste valable aujourd'hui.

Plus que jamais, en ces temps troublés de retour de flamme (de l'enfer?) autoritaire, et de lavage de cerveau chrétien/social-démocrate, être contre et dire non est plus qu'une posture exprimant un esprit de contradiction. C'est une attitude salutaire de survie intellectuelle autant que physique.

Ca tombe bien, dans ce blog, on adore être contre ;-)...


Hymne Yougosonique pour le temps présent,
les punks/funks belgradois de Disciplina Kicme en 1983 (mais toujours d'actu)
et leur "Ne, Ne, Ne" dont les paroles sont nettes et précises:
"Non, non, non, 
C'est toujours ce que j'aime dire,
Non, non, non"


NOTA BENE : la photo d'ouverture du post est un clin d'oeil perso à la performance de "Zagreb, je t'aime" de l'artiste croate Tomislav Gotovac, qui en 1981 se promena dans son plus simple appareil dans les rues de la capitale croate, testant les limites sociales et le "bon ton" (expression française passée en serbo croate avec le même sens réac et suranné).

Il n'est pas dans mes habitudes de prêter des pensées ou opinions aux morts, mais quelque chose me dit que Gotovac (décédé en 2010) aurait été lui aussi "PROTIV" ...

4 commentaires:

  1. Et bin tu ne l'as pas loupée Zeljka :-D Je doute un peu des convictions de Severina, j'y vois beaucoup d'opportunisme vu qu'une bonne partie de ses fans est homo, mais c'est toujours bon à prendre bien sûr.

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    1. Et encore, je me suis retenu sur Zeljka parce que j'ai horreur d'attaquer quelqu'un sur son physique ingrat et non sur ses idées, mais je ne la supporte plus, la grosse Walkyrie du bon dieu ;-)
      D'accord avec toi sur Severina, je citais ça en exemple parce que, même si il y a opportunisme, c'est un signe que les lignes bougent.... mais je préfère naturellement des engagements plus sincères et plus profonds. g

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  2. Merci pour cet article très intéressant... Et au vu des regrettables résultats de ce soir, j'aurais presque envie de reprendre une formule tristement célèbre : "on ne lâche rien !"
    Sinon, si jamais l'info était connue, sait-on si "u ime obitelji" a été en contact avec des collectifs français du même genre ? Car apparemment la manif pour tous prête main forte du côté des états-unis, si j'ai bien compris

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    1. Très bonne question ...à laquelle je ne saurai répondre. Je n'ai pas vu passer d'éléments allant dans ce sens. Je sais qu'il y a des liens avec Judith Reisman (dont je parle dans le post). Je vais essayer de creuser la question.
      Et sinon, en effet, on ne lâche rien! Le combat pour une meilleure Croatie et une meilleure Yougosphère continue.

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