dimanche 27 octobre 2019

LE HERISSON HERETIQUE

Il y a 70 ans, en 1949, sortait en Yougoslavie "Ježeva Kučica", livre culte de l'écrivain Branko Copic (prononcer respectivement "Yèjèva Koutchitsa" et "Brann'ko Tchiopitch").

"La petite maison du hérisson" est une fable morale pour enfants, écrite en vers dans un style entre poésie épique et légende populaire.

L'histoire conte un épisode de la vie de Ježurka Ježić (prononcer Yèjourka Yèjitch), hérisson flegmatique, vivant modestement dans sa tanière au coeur de la forêt, une tanière que, pour rien au monde, il ne quitterait. Hérisson se dit jež en serbo-croate (prononcer yèj), et le nom du héros est donc une construction, intraduisible, autour de ce mot racine (on pourrait tenter un "Héri Le Hérissonnet").

L'intrigue commence avec la lettre que le lapin-facteur apporte à Ježurka, une lettre envoyée par la "renarde" (lisica, prononcer "lissitsa", "renard" en serbo-croate, est un mot féminin dans cette langue), qui l'invite à déjeuner chez elle. Invitation acceptée sur le champ par notre hérisson. Les deux personnages s'échangent de nombreuses politesses et bons mots, et font bonne chère.

mardi 1 octobre 2019

"ARTWASHING" SUR LES BORDS DE LA SAVE

Le Musée d'Art Contemporain de Belgrade (Muzej Savremene Umetnosti, MSU) accueille, du 21 septembre 2019 au 20 janvier 2020, "The Cleaner" ("Čistać" en langue locale), vaste rétrospective consacrée à Marina Abramovic. C'est un événement à plus d'un titre, et en particulier parce que la dernière exposition à Belgrade de la pasionaria de "l'art-performance-extremo-conceptuel" remonte à ...1975. Un événement aux allures de come-back qui pourtant déchaîne les passions et génère une chaude et belle polémique, digne de celles dont l'Hexagone est coutumier. En cause, le budget faramineux de l'exposition, plus d'un demi million d'euros, autant que le budget annuel du MSU lui-même, MSU dont il faut rappeler qu'il fut, à l'instar d'autres musées de la Yougosphère, longtemps fermé pour cause de travaux de rénovation inachevés...faute de budget. Le musée à réouvert en 2017, après 10 ans de fermeture, et reprend peu à peu son rythme de croisière. L'expo de Marina Abramović tombe donc à pic pour, idéalement, relancer cette institution, crée en 1965 malgré le mépris de Tito pour l'art contemporain, jugé par le maréchal comme décadent, bourgeois, et occidental, mais c'est une autre histoire, quoique...

 Le MSU.

Mais au fait, qui paye ? C'est dans la réponse que se trouve le principal point de crispation de la polémique, car c'est l'Etat serbe, c'est à dire le gouvernement d'Aleksandar Vučić, qui a débloqué les fonds publics nécessaires à la tenue de l'exposition. Dans un pays où la majorité de la population continue de survivre avec des revenus autour de 500 euros pour un coût de la vie guère plus bas que celui de la France, cette dépense somptuaire heurte, d'autant que le gouvernement Vučić, l'un des plus impopulaires de l'histoire contemporaine serbe, demande à ses concitoyens des "poursuivre les efforts face aux indispensables réformes" (refrain entendu ailleurs), et se voit vigoureusement critiqué pour ses investissements calamiteux dans des projets comme l'ultra controversé "Beograd na Vodi", qui défigure à jamais la ville basse de Belgrade avec ses buildings "de grand standing", sans répondre aux besoins réels et pressants de la capitale en termes de logement, d'urbanisme, d'infrastructures, et d'écologie.

Au delà des procès habituels en élitisme et autre poujadisme anti-artistiques qui s'expriment contre Marina Abramović, et auxquels il est évidemment ici hors de question de prêter le flanc, il faut préciser que cette exposition et son financement posent question jusque dans les milieux artistiques ou intellectuels eux-mêmes. A priori favorables à Marina Abramović, ou reconnaissant au moins l'importance de son oeuvre, ces artistes et intellectuels sont - pour la plupart - opposés au régime d'Aleksandar Vučić. Entre les difficultés à créer ou à penser en Serbie, la critique du pouvoir, et la recherche d'une position équilibrée face à cette exposition, leur désarroi est profond.

Dans le flot des commentaires plus ou moins pertinents qui agitent les débats autour de cet événement, un point de vue me semble se démarquer, à la fois parce qu'il expose précisément les problèmes que constitue ce soutien de l'Etat à "The Cleaner", qu'il en identifie les enjeux cachés, mais aussi parce qu'il fait intelligemment la part des choses. Ce point de vue est celui de Branislav Dimitrijević, éminent théoricien et historien de l'art, commissaire de nombreuses expositions, et connaisseur avisé de la création artistique yougoslave et post-yougoslave. Interrogé récemment par Radio Slobodna Europa, l'antenne serbe de Radio Free Europe, il répond avec des mots choisis, et des arguments affûtés, ainsi que parfois un soupçon d'ironie (interview complète ici, en serbo-croate). Je traduis et reprends ici la majeure partie de ses propos, auxquels je souscris entièrement, avant de proposer quelques réflexions et commentaires personnels sur cette affaire :