samedi 26 novembre 2016

ET SI ON LÂCHAIT UN PEU MELANIA TRUMP ?



Celles et ceux qui lisent ce blog régulièrement n'auront aucune peine à imaginer ce que je pense de la victoire de Donald Trump, même si, à titre personnel, je m'y attendais. Je le dis sans mépris ni arrogance envers celles et ceux qui croyaient en l'autre option et expriment leur consternation (et en même temps, Clinton, ce n'était pas non plus la panacée!). Je crois malheureusement que nous vivons un mouvement désormais bien engagé de l'histoire et des sociétés qui fait qu'aujourd'hui ce sont des cyniques calculateurs, des beaufs vulgaires, des excités autoritaristes, des brutes aux idées simples et courtes, des apôtres du fric facile, etc. qui dominent le marché de l'offre politique et récoltent, ou récolteront, le jack-pot du pouvoir: voyez Sarkozy, Valls, Poutine, Erdoğan, Farage, la famille Le Pen, Berlusconi, Vučić, Orban, Dodik, les frères Kaczyński.... liste non exhaustive.

On peut le regretter mais je crains que cette dynamique ne se poursuive, avec une probable prochaine étape en France en 2017, et l'heure est davantage à réfléchir à comment nous allons, non pas l'enrayer, mais à comment nous allons nous organiser pour y résister et limiter la casse... Vaste sujet, qui n'est pas celui de ce post, mais que je pose brièvement ici néanmoins, histoire de.

Le sujet de ce post, en l'occurrence, c'est le mélange de gêne et de perplexité qui me traverse face au "Melania Trump bashing", ce sport qui consiste à s'en prendre à Madame Trump, soit pour attaquer Trump lui-même, soit pour attaquer celle qui a choisi de faire sa vie avec lui. Le sport en question ne date pas d'hier mais il est revenu avec force sur les réseaux sociaux et dans certains médias depuis les élections US, que ce soit en Occident ou dans la Yougosphère.

Paradoxalement, de l'autre côté de l'échiquier, là où on défendrait ou tout au moins on essayerait de présenter Melania Trump sous un angle plus favorable, on retrouve aussi certains attributs du "Melania Trump bashing", mais orientés de façon positive...

Je ne suis évidemment pas un défenseur de ce que peut représenter la nouvelle "First Lady", mais je confesse être un rien mal à l'aise avec un certain discours à charge qui se répand autour d'elle. Si je devais résumer ce discours de manière abrupte et sans prendre de pincettes, je le formulerais ainsi: Melania Trump est une femme d'Europe de l'Est qui est partie aux USA. En épousant Donald Trump, elle est devenue une pute, une salope, ou, comme on dit en serbo-croate, une "sponzoruša" (prononcer "sponn'zoroucha"). Ce dernier terme, basé sur le mot "sponzor", intraduisible en français sans faire de périphrase, signifie quelque chose comme "une femme sponsorisée", en l'occurrence sponsorisée par son conjoint friqué, pas forcément fréquentable. Le terme est apparu dans la Yougosphère au moment des guerres, en particulier en Serbie, où, sur fond de libéralisme sauvage, de turbofolk et de délirium nationaliste, il a désigné les femmes qui se sont acoquinées avec les nouveaux riches, les petits ou grands chefs mafieux, les profiteurs et criminels de guerre. Exemple: la chanteuse Ceca, la femme du tristement célèbre Arkan peut être considérée comme une sponzoruša.


Arkan et Ceca


Le terme s'est répandu dans toute la région, les sociétés croates, bosniennes ou autres n'étant pas sensiblement différentes de la société serbe de l'époque. Il a perduré au delà des guerres, et désigne toujours aujourd'hui, en plus de celles qui continuent de fricoter avec les caïds du banditisme local, les femmes qui vivent avec des hommes de pouvoir, en particulier ceux qui détiennent le pouvoir financier, les "tajkuni", de l'anglais "tycoons", le monde des affaires étant volontiers vu comme une prolongation des magouilles de la mafia, ce qui n'est hélas pas complètement faux.

Mais revenons à Melania Trump, et penchons nous d'abord sur la première partie du discours à son égard. Ainsi donc, la "First Lady" viendrait d'Europe de l'Est. Ah, l'Europe de l'Est ! Cette terre fruste et reculée, noyée dans une brume de souffrance et d'arriération qui jamais sans doute ne la quittera!
 
 "L'Europe de l'Est" dans l'imaginaire occidental...
Et là, au fond, si si, Melania Trump fuyant la misère.
(Copyright :
Gueorgui Pinkhassov/Magnum Photos)

On précisera quand même au passage, que tant à l'échelle de la Yougoslavie qu'à celle du "bloc de l'Est", la Slovénie était un territoire relativement prospère et "avancé". On rappellera aussi que la Yougoslavie était très différente politiquement,  culturellement, et économiquement, d'Etats comme par exemple la RDA, l'URSS ou la Roumanie. Mais qu'importe, l'important est ici de ressortir tous les fantasmes habituellement associés à l'Europe de l'Est pour construire un premier récit qui nous suggère que, telle une Cosette slave, Melania a donc fuit ce territoire pauvre et retardé pour chercher quelque élévation sur le plan matériel.

A ce stade du récit, rien n'est encore négatif à priori. Mais la suite arrive, et elle est déjà moins favorable. Car Melania, nous suggère-t-on, n'a pas abandonné tout ce qui la rattachait à cette terre méprisable. Elle a par exemple, nous dit le Figaro Madame, gardé son accent "de l'Est". J'ignorais que "de l'Est" était une langue et pouvait donc générer un accent. On parlera d'ailleurs aussi de "l'accent slave" de Melania Trump, là aussi dans un raccourci qui la range dans un seul groupe ethnique, objet de nombreux fantasmes, et tant pis si il y a plusieurs langues slaves, et si les peuples slaves eux-mêmes sont assez différents culturellement, au délà de certains traits communs. Notons que le Figaro Madame ne se veut pas négatif envers Madame Trump, mais comme je le disais plus haut, les propos favorables surfent aussi sur tout un imaginaire réducteur et méprisant: l'accent, c'est bien-sûr "mignon", voire un rien sexy, postulat qui permettra plus tard d'installer la thèse de la sponzoruša.


Mais l'accent, c'est aussi cet attribut qui fait que, partout, et même avec une excellente maîtrise de la langue du pays d'accueil, vous êtes immédiatement ramenés à vos origines, que ce soit à la boulangerie, à la préfecture, au bistrot, dans le bus, ou à Pôle Emploi. C'est ce qui fait que tout le monde va se retourner dès que vous ouvrez la bouche. C'est ce qui fait que, inconsciemment, on va vous parler avec un rien de hauteur, ou, dans le pire des cas, en mode "toi comprendre quoi moi dire toi". C'est l'accent qui fait que, dans un débat contradictoire un peu houleux, votre interlocuteur, au lieu de vous opposer un argument rationnel et construit, va vous répondre avec mesquinerie, "je ne suis pas d'accord, mais au fait, on ne dit pas floute mais flûte". C'est l'accent qui fait que, au lieu de s'intéresser à vous en tant que personne, on va s'intéresser à vous en tant que représentant de votre "pays" ou "ethnie", en exigeant d'ailleurs que vous ayez un avis construit et fouillé (et de préférence critique) sur tout ce qui se passe dans votre pays, tout en attendant de vous que vous fassiez allégeance et preuve de bienveillance envers votre terre d'accueil... Ne pensez pas que j'invente, je vis depuis bientôt 20 ans avec une femme qui a, elle aussi, un "joli accent", et j'ai eu de quoi étudier le phénomène. Il y aurait une thèse de sociologie à écrire... 


Et donc, Melania Trump a gardé son accent. C'est certes sexy (et ça en fera une "bonne salope de l'Est" plus tard), mais elle a quand même planté un truc, elle n'est pas complètement des nôtres.
Ce discours aurait pu s'arrêter là, sur une espèce d'inferiorité suggérée par l'accent, mais Melania Trump aurait aussi héritée des mauvaises manières de cet espace géographique dont elle est originaire.

Lorsqu'elle a effectivement plagié honteusement le discours de Michelle Obama, en juillet dernier, ce qu'il fallait dénoncer à juste titre, un article a été publié dans le Washington Post, écrit  par Monika Nalepa, une universitaire américaine d'origine polonaise: l'article disait, pour faire court, qu'il ne fallait pas s'étonner que Melania Trump ait agi de la sorte, le plagiat et la triche étant en effet une constante dans le monde universitaire en "Europe de l'Est", lequel était de toute façon basé sur l'apprentissage par coeur et l'absence de débat d'idées, dictatures communistes puis héritage des dictatures obligent. Madame Nalepa s'abritait derrère le gage qu'elle était polonaise et était passée par la case universitaire là bas. 
Tout en reconnaissant qu'elle avait quitté "l'Europe de l'Est" il y a 15 ans, elle exprimait ses "doutes" sur le fait que la situation ait changé. En gros, donc, il s'agit d'un article basé sur les impressions "personnelles" d'une universitaire qui "suppose" que la situation n'a pas changé en "Europe de l'Est", territoire que, par ce terme, elle réduit à un seul et même ensemble, faisant fi des différences attestées entre les Etats. On a connu plus rigoureux de la part d'une universitaire. L'attaque porte aussi sur l'enseignement, qui serait donc d'une piètre qualité et fabriquant des imbéciles dépourvus de réflexion et d'esprit critique, et accessoirement prompts à la triche et au plagiat. 


Si tous ces arguments étaient vrais, ces pays dits "de l'Est" n'auraient pas connu, au delà de l'absence de liberté et des difficultés économiques, une "modernité" indéniable dans de nombreux domaines (architecture, art, recherche scientifique, technologie, etc.), "modernité" qui est aujourd'hui largement documentée, y compris dans ce blog. 


 Université de Jena (RDA) en 1983.

Par ailleurs, des pays comme la RDA, deuxième puissance économique du Pacte de Varsovie, n'auraient pas atteint ses degrés de "développement". Enfin, les excellentes compétences linguistiques des "gens de l'Est", qui font d'ailleurs notre admiration (malgré leur accent!), ne seraient pas ce qu'elles sont si l'enseignement universitaire avait été à ce point catastrophique. Bref, Madame Nalepa nous a ressorti le vieux cliché de l'arriération de ces territoires mais aussi le poncif des "gens de l'Est", rois de l'arnaque, des petits et gros trafics, du mensonge et autres combines, qui rappelle que ces gens ne sont vraiment pas comme nous. Et tant pis si les magouilles existent aussi en Occident, où elles prennent il est vrai les sympathiques appellations de "piston", d' "entregent", de "délit d'initié", quant au travail au noir, ça n'existe pas bien-sûr... Bref, l'important est de retenir que Madame Trump, non seulement est le produit d'un système éducatif incompétent, mais qu'elle en a aussi hérité les pratiques malhonnêtes.

Heureusement, l'article s'est vu opposer un démenti cinglant et ferme, qui reprend quelques uns des contre-arguments que je viens de citer, et dénonce l'essentialisme et les raccourcis de Madame Nalepa, sous la forme d'une tribune de plusieurs universitaires, eux-aussi originaires d'Europe de l'Est.

On précisera encore que Madame Trump, loin d'être cette personne finalement ignorante, tricheuse, et incompétente, de par ses origines, parle plusieurs langues, a passé un diplôme en design, et a manifesté très jeune un intérêt et un talent pour les arts. Cela n'enlève rien au fait qu'elle ait plagié le discours de Michelle Obama, et qu'il faille s'en émouvoir, mais le procès aurait dû se limiter à cet aspect, sans développer des théories fumeuses sur la malhonnêteté atavique des gens de l'Est, et la pauvreté intellectuelle de ces territoires.

Il n'empêche, le mal était donc fait, et de ce premier discours sur l'incompétence et la tricherie, on allait pouvoir passer au second, celui de la sponzoruša.

Ainsi, Melania Trump aurait tous les attributs d'une "salope de l'Est", en épousant un milliardaire dangereux et détestable, à l'instar d'une Ceca ayant convolé avec un criminel de guerre et un mafieux. En postulant les faits en ces termes, on dénie à Melania Trump la possibilité qu'elle puisse être réellement amoureuse de ce type, aussi méprisable soit-il, pour n'y voir qu'un opportunisme bien pensé. La petite "Cosette slave" aurait en quelque sorte accepté de coucher pour s'en sortir. Je ne sais pas pour Melania, mais en tout cas, je suis désolé de dire que Ceca était sincèrement amoureuse d'Arkan, même si ce type était une ordure. 

Ceca avec une photo d'Arkan.
La chanteuse cultive et honore régulièrement la mémoire de son mari.

Quant au récit de la "Cosette", il faut aussi le relativiser: la documentation disponible en ligne nous dit en effet que les Knauss (nom de jeune fille de Madame Trump) vivaient certes modestement au départ, mais qu'ils graviront les échelons de la société slovène, voyageront régulièrement et vivront tout à fait correctement. 



 La maison des Knauss à Sevnica en Slovénie.
Photo (c) Aleksa Vitorovic


C'est l'ambition qui habitait ses parents, l'attrait de sa mère pour la mode, illustré par des séjours en Italie et à Paris, qui feront que Melania Knauss se tournera vers cet univers, ce qui la conduira à émigrer. Bref, elle n'a donc pas fuit la misère et le malheur, supposément endémiques à l'Europe de l'Est dans le récit que nous décortiquons, pour ensuite devenir la sponzoruša de Donald et assurer tranquillement ses vieux jours à ses côtés, moyennant le sacrifice de son corps bien doté par la nature.


La première photo professionnelle de Melania, dans les mains de son photographe d'alors Stane Jerko, qui rappelle dans "Vice" que, pour la jeune femme, les études étaient plus importantes que la mode.
Photo (c) Aleksa Vitorovic

On remarquera justement que cette partie du récit à charge contre Melania Knauss-Trump se résume à ça, à un corps, dans un curieux phénomène d'aliénation du propos, surtout lorsqu'il se veut émancipateur voire féministe. Un corps donc, la tête n'étant que bêtise, triche et opportunisme...

Mais revenons à l'histoire de la Cosette slave qui demeure en filigrane du discours sur les origines de Madame Trump. Admettons un instant que ce postulat fut vrai. Admettons qu'effectivement, Melania Knauss ait voulu "fuir" une Europe de l'Est misérable et arriérée pour un environnement jugé plus clément. Cela en ferait il automatiquement une prostituée, une "salope" ou que sais-je encore ?

Il y a des milliers de femmes d'Europe de l'Est, mais aussi d'Asie, d'Afrique et de toutes terres à la situation économique et politique difficile, qui "fuient" leur pays, parfois avec des enfants d'une première relation, et qui sont prêtes, pour s'en sortir, à accepter d'épouser, dans le pays d'accueil, un beauf friqué, macho et raciste qui leur assurera la sécurité matérielle, et celles de leurs enfants. C'est d'ailleurs un business très lucratif comme en témoignent nombreuses publicités et officines en ligne.



Le paradoxe est que ces femmes fuient volontiers, outre la misère sociale, un environnement machiste, patriarcal, parfois violent (les hommes, eux, à scénario similaire, finissent souvent à la Légion Etrangère...). On peut évidemment regretter qu'il en soit ainsi, et loin de moi de défendre cette forme subtilement déguisée d'exploitation de la femme et de la misère, mais peut-on dire que ces femmes sont des "prostituées" ? Je doute que quelqu'un se risque à utiliser un tel terme. Quand il y en a (le sujet demeure peu étudié), les enquêtes, reportages ou propos sur la question sont d'ailleurs souvent empreints de pitié, si ce n'est de compassion, envers ces femmes, dont le bonheur dans l'exil est souvent très relatif, exception faite de quelques rares "love stories".

Bref, sans le formuler explicitement, on reconnait une dimension victimaire à l'histoire de ces femmes... Pourtant, dans l'hypothèse où Melania Trump pourrait se ranger dans ce discours de la fuite de la misère, on lui dénie cette lecture victimaire. Il y a en effet une hiérarchie subtile dans le discours sur les "femmes de l'Est" qui partent chercher un avenir meilleur. Il y a la victime de la misère dont profite l'industrie du mariage est-ouest, et puis il y a celle qui, en quelque sorte, compose avec le système: la sponzoruša, la "prostituée" des temps modernes et de la transition à l'Est. Là aussi, on sépare la sponzoruša des prostituées "classiques" de l'Est, "victimes" des réseaux mafieux sur place et des fantasmes sur les "femmes de l'Est" de la clientèle occidentale. Cela n'empêche pas toutefois de traiter Melania de "pute", et non pas de "prostituée", terme, si je puis dire, plus "neutre", ce qui montre l'ambivalence du discours sur ces "femmes de l'Est", où l'on peut glisser facilement du statut de victime à celui de "salope" ou de "pute". Melania Trump se range donc dans cette deuxième catégorie, avec le statut de sponzoruša.

Je ne l'ai pas lu et ignore tout de sa valeur littéraire, mais ce "Best-seller N°1 en Serbie", montre l'importance qu'ont pris les sponzoruše (pluriel de sponzoruša) dans la société. L'auteure est en tout cas très lue par la jeune génération qui trouve dans ses ouvrages un miroir de l'ère du temps...

La presse serbocroatophone publie occasionnellement des témoignages de sponzoruše, et pas uniquement la presse poubelle qui en fait son marronier voyeur et complaisant, mais des journaux davantages sérieux, illustrant le phénomène de société que constitue cette "pratique". J'en ai lu certains, et sans tirer de généralisation ou de statistiques, je puis néanmoins affirmer que, contrairement aux idées préconçues, ces femmes sont d'horizons très diverses, pas forcément toutes dépourvues d'éducation, de diplômes, et pas forcément issues du quart-monde balkanique, comme le voudrait une vision sociologique superficielle et simpliste... Certaines même revendiquent le terme de sponzoruše, et la plupart des témoignages assument en toute franchise un besoin de protection, de sécurité, et de confort matériel, quitte à faire sa vie, et à "offrir son corps" à des types n'ayant pas forcément les mains propres et la tête claire. Les témoignages ne cachent pas qu'il faut prendre sur soi et passer au dessus de certains travers du conjoint, de la criminalité à l'infidélité occasionnelle, mais ils font aussi état d'hommes "respectueux", "protecteurs", "rassurants", et qui ne dédaignent pas d'aider financièrement la famille de la sponzoruša, dans un environnement économique et social difficile.

Ce que suggèrent selon moi ces témoignages, c'est que dans les sociétés toujours pauvres et politiquement instables d'ex-Yougoslavie, où précisément ce contexte contribue à renforcer le patriarcat, le machisme et la violence, les sponzoruše font en définitive le choix du "pacte avec le diable" pour s'assurer sécurité et protection. On les déteste parce qu'elles traînent avec des sales types, mais ne les déteste-t-on pas aussi parce que leur choix renvoit aux échecs de ces sociétés en terme d'évolution? Qu'il leur tend un miroir peu flatteur, celui de la résignation et de la soumission qui habitent la majorité de la population ? 
Ne sont elles pas considérées en quelque sorte comme des "collabos"? Et à défaut des tondeuses que l'on a fébrilement sorti à la Libération pour raser la tête de celles qui avaient fricoté avec l'occupant, pour mieux détourner l'attention des petites et grandes compromissions des uns et des autres, on sort la tondeuse d'un discours qui leur dénie l'idée qu'elles puissent être aussi, à leur manière, des victimes, pour mieux cacher nos propres compromissions et résignations.

Qu'on se comprenne bien, je ne suis pas en train de défendre et encore moins de promouvoir la pratique du "sponzorušisme". Il m'arrive moi aussi de les railler et de les dénoncer. Je déteste Ceca et ce qu'elle représente. Mais cette approche n'est elle pas finalement très commode, facile et un rien hypocrite ? N'est ce pas une façon de se concentrer à bon compte sur le symptôme au lieu de se pencher plus globalement sur le mal, ce qui demande un peu plus d'effort ? Je n'affirme rien avec certitude mais je pense qu'on peut poser la question.

Même si ce n'est pas complètement lié, l'attitude méprisante envers les sponzoruše me rappelle le cas de Jelena Karleuša, chanteuse serbe, icône du turbofolk et de toute la vulgarité qui va avec. Détestée elle aussi au titre de ce qu'elle incarnait, Karleuša est soudain devenue respectable, fréquentable et défendable, le jour où elle a pris fait et cause pour la défense des LGBTI, et qu'on s'est aperçue, en plus, qu'elle était loin d'être la "conne" ou la "pétasse" que l'on imaginait,  car elle développait un discours construit et pertinent sur la société serbe (j'en avais parlé à la fin de ce post).

Le "Melania Trump bashing" fonctionne sur les mêmes ressorts. On attend d'elle qu'elle dénonce son mari, qu'elle se pose en victime ou qu'elle développe un discours progressiste sur les questions de société. Comme elle ne le fait pas, et semble même être satisfaite de sa vie avec Donald, on lui dénie du coup tout sentiment, intelligence et sensibilité pour ne retenir au final que la bêtise, la tricherie, l'opportunisme malsain de la sponzoruša de l'Est, complice du système abhorré que représente son mari. 



Et comme je le disais au début de ce post, chez celles et ceux qui défendent ou se veulent favorables à Madame Trump, tout ce qui précède est volontiers présenté comme positif... On salue la petite Slave qui s'est bien débrouillée.

Alors en conclusion, oui, il faut combattre Donald Trump, mais se servir de sa femme n'est peut-être le moyen le plus honnête et le plus efficient pour le faire. Oui, on peut critiquer Melania Trump et lui reprocher d'aimer une crapule, mais encore faudrait-il le faire sans surfer sur des poncifs et un récit qui ne valent au final guère mieux que ce que l'on prétend dénoncer...

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