vendredi 10 juin 2011

LA GRANDE SERBIE (LA VRAIE) – DEUXIEME PARTIE

Après un premier éventail il y a quelques jours ici, voici la suite de notre who’s who personnel de la Serbie qu’on aime et qu’on défend…



La scène reggae
Oui, il y une scène reggae en Serbie, et même dans toute l’ex-Yougoslavie. Théorie des climats (fort taux d’ensoleillement dans toute la péninsule balkanique) ? Nonchalance méridionale ? Pourcentage de THC dans l’herbe locale ? On tâchera un jour d’analyser ici plus en profondeur, ce qui a fait que le reggae s’est épanoui dans le paysage musical yougoslave. 

En attendant, durant le conflit et dans l’ambiance délétère de la Serbie de Milosevic, la scène reggae locale a été non seulement la dignité mais aussi la voix d’une certaine jeunesse, celle qui n’était pas d’accord avec ce qui se passait. Alors que la variété et une petite frange du milieu rock ont clairement pactisé avec les va-t-en-guerre, les rastas des bords de la Save son restés intègres, prenant au pied de la lettre les préceptes de paix et de spiritualité de la musique jamaïcaine. Même si les mantras du reggae telles que « I’n’I powa » ou « Peace, Love and Unity » peuvent faire ricaner les cyniques, elles ont été et restent une alternative pas seulement musicale, mais idéologique, au climat facho d’hier et d’aujourd’hui. 



 Del Arno Band, Eyesburn, FC Apatride Utd : 
trois générations du reggae serbe, une intégrité intact. Maximum respect !

 A côté de figures du genre orientées reggae-roots comme Del Arno Band (qui fête ses 25 ans de carrière) et Hornsman Coyote se sont développées, signes de ces temps troublés, des formations fusions, intégrant du métal ou du punk, comme les regrettés Eyesburn, cousins belgradois des Bad Brains, qui ont mixé la colère autant que les espoirs. Les héritiers d’aujourd’hui s’appellent FC Apatride Utd et le genre vient habiter de nombreux morceaux de groupes actuels.



La scène musicale en générale
Si une partie des rockers ont embrassé la cause de « la grande Serbie », une autre partie s’est clairement engagée contre le conflit. Durant les manifs étudiantes, la scène rock, de Partibrejkers, les Rolling Stones belgradois, à Rambo Amadeus, sorte de Frank Zappa yougoslave, était présente et a signé plusieurs manifestes musicaux, repris en chœurs dans les cortèges. Des compilations éditées par le média B92, qui n’était pas encore à l’époque cette MTV  pro-Tadic qu’elle est devenue, ont immortalisée les « hits » de cette contestation et la musique de cette génération. 

"Zajedno" - "Ensemble", vieux hit croate repris par les serbes de Plejboj (tout un symbole à l'époque !) qui devint l'un des refrains des manifs anti-Milosevic. "Zajedno" était le nom de la coalition fédérant l'opposition.

Confisquée par ceux qui ont compris qu’elle pouvait leur servir de tremplin carriériste, la fronde des années Milosevic a quasi disparu. Les milliers d’anonymes qui marchèrent contre Milosevic sont aujourd’hui soit morts, soit ont refait, non sans difficultés, leur vie à l’étranger, soit tentent de joindre les deux bouts et d’élever un ou deux gamins dans un pays livré à la télé et aux hooligans. Paradoxalement, la vraie subversion en Serbie aujourd’hui, c’est d’aspirer à une vie normale. C’est peut-être dans la scène indé actuelle, entre gimmick pop et introspection mélancolique, qu’il faut chercher cette contestation de la génération XX post-Milosevic :

« Une vie normale », c’est précisément le nom du dernier album de Nezni Dalibor (« Dalibor le Tendre »), l’une des figures du genre. 

 "Sve bice u redu" ("Tout ira bien"), par Nezni Dalibor
le spleen de la génération post-Milosevic

L’une des caractéristiques, toutes générations confondues, du « sound of Serbia » est ce mélange paradoxal de mélancolie et d’énergie sautillante. On le retrouve un peu partout dans les musiques serbes d’aujourd’hui, que ce soit chez Kanda Kodza i Nebojsa, Neozbiljni pesimisti, Darkwood Dub (en concert à Paris au Divan du Monde le 23 juin prochain) ou dans la scène groovy façon Dvojac bez kormilara… Un son particulier qui incarne cet état d’esprit typique de la région, où l’on danse et festoie toujours sur la corde raide.

 Kanda Kodza i Nebojsa "Right direction" (1998) : acid jazz pour jeunesse amer

Darkwood dub : groove indé vs emo-electro

 Dvojac Bez Kormilara : la réponse Belgradoise à Saint Germain et la french touch


D’autres ne tiennent pas et ont besoin de bousculer : quelques francs tireurs electroclash, hard techno et autres expérimentateurs bruitistes portent à leur façon les envies borderline des jeunes serbes non-alignés : 
on écoutera pour s’en faire une idée les bien nommés « Ilegalne Emocije » (« Emotions Illégales ») ou « Klopka za pionira » (« Piège pour le pionnier »)


Ilegalne Emocije et Klopka za pionira : la réponse sonique de ceux qui sont nés du mauvais côté de l'Europe

 

Jelena Karleusa
Il n’est pas vraiment dans nos habitudes de rendre hommage à une star de turbo-folk, genre que nous exécrons par-dessus tout, et d’ailleurs nous abhorrons la musique de Jelena Karleusa (Prononcer Yéléna Karléoucha). Cela ne nous empêche pas de soutenir et d’approuver lorsque celle-ci se fend d’une tribune dans Kurir – l’un des pires tabloïds du pays – où elle prend fait et cause pour les droits des homosexuels. Il faut comprendre qu’en Serbie, être homo revient au mieux à essuyer mépris et insultes, au pire à se faire tabasser par la racaille virile et facho que le gouvernement de la Serbie démocratique et l’industrie du sport laissent pulluler dans et hors des stades. 

L'homosexualité ? 
"its tou match forr Seurrrbia" expliquaient deux grands gaillards locaux à deux touristes norvégiens éberlués, à la table d'à côté, lors d'un festival à Belgrade.

Précisément, le mari de Jelena Karleusa est un footballeur célèbre en Serbie, lui-même homophobe et fier de l’être. La chanteuse n’y va pas par quatre chemin pour dénoncer le conservatisme et les contradictions de son mec, et partant, de la société serbe : « Pourquoi, pour mon mari, est il normal de m’enculer, moi, une femme, alors qu’il serait anormal d’après lui, que deux hommes le fassent entre eux ? ». Cette prise de position brute de décoffrage, mais au demeurant tellement juste, complétée d’une aspiration à ce que ses enfants grandissent dans un pays débarrassé de la violence et de l’intolérance, ont value à la star l’adhésion des homosexuels et plus globalement de tous les progressistes du pays. L’attitude de Jelena Karleusa a une forte portée symbolique. C’est la première fois qu’une artiste turbo-folk utilise sa notoriété pour dénoncer les archaïsmes en vigueur. C’est peut-être aussi la marque d’une « sécularisation politique » du turbo-folk : musique des ploucs et bras armé musical des années Milosevic, le turbo folk s’affranchit peut être de ce lourd passé de collabo. Ca ne l’empêchera pas de rester une daube infâme qu’on ne défendra pas dans ce blog, mais encore une fois, on salue l’opinion, l’attitude et le courage de la miss (qui s’est fait agressée et subit des menaces depuis la parution de son article).



Zoran Djindjic
Il a été sans doute l’un des seuls hommes politiques serbes à avoir voulu tirer son pays vers le haut. Il lui voyait un avenir européen, apaisé, moderne, où l’ardeur et le courage avérés de ses habitants ne s’exprimeraient pas dans des guerres insensées, mais dans un effort de reconstruction collective de la société, où chacun s’y retrouverait au final. Naïf ? Pas sûr. 

 Zoran Djindjic était un humaniste, formé en Allemagne, pays dont il parlait parfaitement la langue et où il avait gardé de nombreux contacts professionnels. Sans doute la façon dont l’Allemagne avait su tirer les leçons de son lourd passé, et était devenue une démocratie exemplaire, basée sur le consensus social, le progrès écologique et le respect des libertés, lui faisait penser que la Serbie pouvait elle aussi suivre un chemin similaire. Et la réconciliation franco-allemande inspirerait indéniablement la réconciliation inter-yougoslave. Ce noble et juste projet a pris fin le 12 mars 2003, lorsque un tireur d’élite à la solde de sombres intérêts politico-mafieux, a conclu une campagne médiatique de calomnie nauséabonde contre le premier ministre en l’abattant à bout portant. L’enquête est toujours en cours et la Serbie trèèèèès loin d’un destin à l’allemande…
A voir en complément, ce reportage de France 3 tourné après l'assassinat de Djindjic.


A suivre....

2 commentaires:

  1. A l'écoute de H.R. de FC Apatride Utd ne seraient-ils pas homophobes? L'alternative idéologique n'est donc pas toujours progressiste et parfois archaïque!

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  2. Bien vu ! Je n'y avais pas prêté attention à l'époque, plus concentré sur cette continuité musicale que j'évoque dans le post, que sur le propos, d'autant que perso, je ne suis pas un fan de FCAUTD., ni de reggae en général, sauf rares exceptions. Je n'avais donc pas creusé.

    J'ai checké les paroles (que l'on peut trouver ici : http://www.maxilyrics.com/fc-apatride-utd-h.r.-lyrics-b342.html) et en effet, ça ne laisse aucun doute, aussi quand ils parlent des caricatures de Mahomet. Des forums reggae attestent aussi de certaines limites de ce groupe, pourtant présenté à l'époque, y compris en France, comme un "vent frais" venu de Serbie, avec des idées marxistes et une philosophie inspirée par l'Islam, ce qui était suffisamment intriguant et séduisant sur le papier, pour un pays pas très islamophile et largement "dé-marxisé".

    Ils s'inscrivent hélas en filiation avec de nombreux groupes reggae, ragga ou rap ouvertement homophobes. Et malheureusement en Serbie, une partie de la rébellion a pris clairement le chemin d'idées archaïques et très peu progressistes : on le voit notamment avec un groupe de rap comme "Beogradski Sindikat", qui a des textes parfois très forts, mais quand tu grattes bien, très fachos.

    Merci pour ton travaail de veille, en tout cas, l'ano'

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