Les récentes commémorations de la première grande boucherie mondiale du siècle dernier sont un bon prétexte pour sortir des tiroirs un projet musical singulier, passé globalement inaperçu: "Serbian war songs" est paru en 2017, et je n'ai moi-même découvert ce disque que très récemment, un peu par hasard. Le titre est à la fois trompeur et exact. En l'occurrence, ce n'est pas à proprement parler une anthologie de chants militaires éditée pour renflouer le budget de l'armée serbe fragilisé par les guerres des années 90, ni une énième initiative patriotique glorifiant les hauts faits d'armes de cette valeureuse nation. Non. Si ces "chansons de guerre serbes" sont bien des oeuvres du folklore traditionnel ou du répertoire militaire, composées à l'époque de la Première Guerre Mondiale en Serbie, elles sont ici "déconstruites" pour être réinterprétées dans le langage particulier des musiques d'avant-garde.
Une tentative d'expliquer l'ex-Yougoslavie en passant par les marges et les chemins de traverses...
jeudi 22 novembre 2018
mardi 9 octobre 2018
COPINAGE: GRENOBLE CAPITALE DU NSK
Dans les très prochains jours, à savoir du 11 au 14 octobre 2018, la capitale du Dauphiné sera, pour la deuxième année consécutive, l'épicentre du NSK en France.
Le NSK, alias "Neue Slowenische Kunst" ("Nouvel Art Slovène", en allemand dans le texte), c'est ce mouvement artistique né au tout début des années 80 en Slovénie, autour du célèbre groupe Laibach, volontiers évoqué dans ce blog ou sur son pendant facebookien. Le NSK s'est posé au départ en miroir des tensions et contradictions de la Yougoslavie post-Tito, ainsi que de la société slovène d'alors, dévoilant les ambiguïtés et fractures d'un régime finissant, dont certains des acteurs allaient troquer le "socialisme antifasciste" pour le "nationalisme autoritaire" afin de se maintenir au pouvoir. Le tout sur fond de "détachement cynique" d'une population qui, majoritairement, ne croyait plus à l'idéologie (si tant est qu'elle y ait cru un jour), mais "faisait semblant", avant de se laisser tenter à son tour par la promesse de réalisation du grand rêve national, sensé remplacer la ringarde "fraternité et unité".
samedi 6 octobre 2018
REGARDS SERBES DANS LE MIROIR CATALAN
Les aspirations indépendantistes qui s'expriment en Catalogne font aussi causer en ex-Yougoslavie, où le sécessionnisme fait partie de l'histoire récente, voire de l'actualité (cf. l'épouvantail récurrent de la sécession de la Republika Srpska). La grave "crise" de l'automne 2017 entre Madrid et Barcelone a volontiers sonné sur place comme un retour du refoulé de la crise yougoslave d'alors, même si toutes les comparaisons et analogies avec celle-ci ne sont pas forcément pertinentes. On a largement commenté sur place ces événements, que ce soit chez les professionnels de l'information (la presse) ou chez les "amateurs" sur les réseaux sociaux. Chacun est allé de son analyse, projetant bien souvent un regard yougo-centré, pas forcément inexacte ou inintéressant, mais parfois néanmoins emprunt de fantasmes ou de raccourcis.
Pour le dire concrètement mais de façon schématique, les pro-indépendance ont inscrit le combat catalaniste dans une même dynamique que le combat indépendantiste de leur peuple lors de la dislocation yougoslave. Le "mouvement catalan", réputé "moderne", dynamique, modéré, et ancré dans les valeurs européennes, a eu bon dos pour certifier que les indépendances d'alors (ou à venir) dans la Yougosphère étaient légitimes et bien intentionnées. Une façon d'effacer les pots cassés et autres dommages collatéraux de ces indépendances, de la purification ethnique, administrative ou militaire, aux crimes de guerre. Du côté de ceux qui expriment des réserves ou sont ouvertement défavorables à l'indépendance de la Catalogne, on a justement rappelé avec force combien les envols pris par les uns et les autres en Yougoslavie ont généré de violence, certains exprimant leur inquiétude, affirmant que les Catalans ne savaient pas ce qui les attendait en termes de répression.
vendredi 11 mai 2018
PLONGEES EN ABYSSES
C'est la bonne nouvelle de l'édition qui démarre en ce moment, le Festival de Cannes propose cette année deux films en liens avec la Yougosphère qui me paraissent plus que dignes d'intérêt: "Chris the Swiss" de la Suissesse Anja Kofmel et "The load/Teret" du Serbe Ognjen Glavonic (prononcer Og'niène Glavonitch). Je n'ai pas encore vu ces deux films, puisqu'ils ne sont pas sortis en France à ce jour, mais il se trouve que je connais assez bien le contexte auquel "Chris the Swiss" fait référence. Quant à Ognjen Glavonić, outre le fait que j'ai bu des bières avec lui au Festival Intergalactique de l'Image Alternative à Brest en 2014, ce qui indéniablement crée des liens, je suis aussi fan de son travail cinématographique. J'avais adoré son "Zivan pravi pank festival", portrait d'un jeune marginal de Voïvodine se piquant d'organiser un festival punk dans son village, et je viens de voir "Dubina Dva/Depth Two", dont "the Load" est le prolongement.
Ce post ne parlera pas des films présentés à Cannes en tant que tels, mais propose des développements et extrapolations contextuels qui me semblent utiles à partager, en attendant que "Chris the Swiss" et "the load" soient projetés sur nos écrans, je l'espère, très largement, c'est à dire pas seulement à Paris, Lyon, et éventuellement Marseille, mais aussi chez les bouseux de province, qui aiment eux-aussi voir des films qui instruisent ou font réfléchir. Cette dernière remarque s'adresse aux professionnels de la profession (distributeurs, diffuseurs...), au vu de la difficulté de voir des films d'ex-Yougoslavie hors grandes métropoles et festivals spécialisés. Même les derniers Tanovic ont été très mal diffusés. Ce problème ne concerne bien-sûr pas les films d'Emir Kusturica, mais ça on le savait déjà... Fin de la parenthèse.
Les deux films ont ceci de commun de plonger dans certaines abysses des guerres yougoslaves, dealant chacun avec des faits encore aujourd'hui tabous voire volontairement passés sous silence, le tout dans deux pays clés du conflit: la Croatie et la Serbie.
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mardi 13 mars 2018
LE ROCK DANS SON JUS DE POMME
Je ne sais pas vous, mais moi j'ai toujours trouvé qu'il flottait à Zagreb un fond d'air électrique, une atmosphère rock'n'roll. Une impression qui m'a saisi dès ma première visite dans cette ville. Zagreb n'est ni Manchester, ni New York et encore moins Londres, et pourtant, aux seuils des façades jugendstil vieillissantes, à l'ombre des usines aujourd'hui désaffectées, où autrefois grouillait le peuple élu du socialisme, ou encore au pied des tours brutalistes fatiguées des quartiers dortoirs, on se les imagine aisément, les rockers locaux, posant crânement, comme leur modèles britanniques ou américains, dans ce décor où se mêlent, sans toujours une grande cohésion, les époques et les styles, la marque de l'histoire et celle du quotidien. Dans ces confins où se frottent l'Est réputé arriéré et l'Occident supposé moderne, le rocker local assume depuis toujours l'apparente schizophrénie que constitue sa passion musicale d'importation, qu'il affiche comme un trophée existentiel, et son destin de mauvaise graine ayant poussé du mauvais côté de l'Europe. Cette schizophrénie finit par faire fusion et façonne un esprit rock spécifique, où le tempérament frondeur local se marie à merveille avec le "vivre vite" que véhicule cette musique. Certes, Zagreb ne fut pas le seul pôle rock dans l'ancienne Yougoslavie, mais cette subculture s'y est néanmoins épanouie avec succès, et a su y garder une certaine forme d'authenticité et d'intégrité. Plusieurs facteurs ont contribué à cette situation. Un lieu, en particulier, a joué, modestement mais sûrement, un rôle indéniable de "prescripteur" et de catalyseur.
Ce lieu c'est le club Jabuka ("La Pomme", prononcer "Yabouka"). Il vient de fêter ses 50 ans d'existence, et un lien personnel nous lie, lui et moi: un peu de ce blog a été inspiré par mes nuits passées à la Jabuka, au mitan des années 90. Tout cela vaut bien un post, et Yougosonic revient sur l'histoire de la Jabuka, qui rejoint, celle, plus globale, de la Croatie.
C'est en février 1968 que des membres de la "Ligue de la Jeunesse pour la Paix" investissent cet ancien bowling du paisible quartier de Jabukovac ("la pommeraie", prononcer "yaboukovatz"), sur les hauteurs de Zagreb. Un bowling où, pour la petite, ou plutôt la grande histoire, jouèrent successivement Ante Pavelić puis le Maréchal Tito, ainsi que les généraux du "Mouvement de Libération Nationale". C'est donc plus ou moins un ancien mess militaire qui devient, dans cette période de bouillonnement sociétal qu'est la fin des années 60, le lieu de promotion de la paix et de la non violence, sous la houlette d'une organisation de jeunesse para-socialiste.
Ce lieu c'est le club Jabuka ("La Pomme", prononcer "Yabouka"). Il vient de fêter ses 50 ans d'existence, et un lien personnel nous lie, lui et moi: un peu de ce blog a été inspiré par mes nuits passées à la Jabuka, au mitan des années 90. Tout cela vaut bien un post, et Yougosonic revient sur l'histoire de la Jabuka, qui rejoint, celle, plus globale, de la Croatie.
C'est en février 1968 que des membres de la "Ligue de la Jeunesse pour la Paix" investissent cet ancien bowling du paisible quartier de Jabukovac ("la pommeraie", prononcer "yaboukovatz"), sur les hauteurs de Zagreb. Un bowling où, pour la petite, ou plutôt la grande histoire, jouèrent successivement Ante Pavelić puis le Maréchal Tito, ainsi que les généraux du "Mouvement de Libération Nationale". C'est donc plus ou moins un ancien mess militaire qui devient, dans cette période de bouillonnement sociétal qu'est la fin des années 60, le lieu de promotion de la paix et de la non violence, sous la houlette d'une organisation de jeunesse para-socialiste.
samedi 13 janvier 2018
FUNERAL TRIBUNE
Photo (c) Mirsad Behram pour Radio Slobodna Evropa.
Predrag Lucić nous a quitté ce mercredi 10 janvier 2018, à l'âge de 54 ans, emporté par la même "longue maladie" que celle qui nous priva déjà d'autres plumes humoristiques talentueuses, telles Desproges et Reiser. L'humour, qui pourtant devrait être remboursé par la sécurité sociale, de par ses nombreuses vertus bienfaitrices, ne protège hélas pas de l'infâme bête à pince, mais cessons là les traits d'esprits, car l'ambiance n'est pas à la fête... Peu connu en France, hors de la sphère des yougophiles serbocroatophones, Predrag Lucic (prononcer Prédrag Loutsitch) est né à Split, 2e ville de Croatie, en 1964. Il est l'un des fondateurs du célèbre "Feral Tribune", l'une des rares voix médiatiques indépendantes dans la Croatie de Franjo Tudjman. Le magazine satirique est connu pour avoir tissé des liens avec Charlie Hebdo, dans une fraternité de l'humour politique qui avait su dépasser les barrières de langue et de culture (on en avait parlé ici).
Predrag Lucić
C'est au sein du "Feral" que Predrag Lucić, et ses deux principaux frères d'armes, Boris Dežulović et Viktor Ivančić (prononcer respectivement Déjoulovitch et Ivann'tchitch), testeront la subtile et complexe dialectique qu'implique la contestation, par l'humour ou par l'enquête de fond, d'un pouvoir peu réceptif à la critique. D'abord avec le régime communiste finissant, lorsque le "Feral" est encore un supplément hebdomadaire du grand quotidien de Split et de sa région, Slobodna Dalmacija ("Dalmatie Libre"), et que s'ouvrent ça et là des fenêtres d'impertinence; puis, lorsque le HDZ de Franjo Tudjman prend le pouvoir, non seulement en Croatie, au bord de l'indépendance, mais également au sein de la rédaction de Slobodna Dalmacija, dans une parfaite continuité des méthodes de noyautage tous azimuths de l'ancien régime, dont, après tout, la plupart des membres du parti nationaliste sont issus.
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