dimanche 22 avril 2012

SAUTE DE MOUTONS EN RAMBOVISION

Alors que la France est présentement aux urnes, Yougosonic convoque Rambo Amadeus, représentant du Montenegro à la prochaine Eurovision, et dont nous dresserons d'ailleurs, si le temps nous le permet, un portrait prochainement. Croato-monténégrin ayant passé une bonne partie de sa vie à Belgrade, Rambo Amadeus a toujours été un observateur caustique et éclairé de ses concitoyens balkaniques et de l'humanité en général.

Son morceau "Cobane, vrati se" ("Berger, reviens!"), paru sur l'album éponyme en 2000 sur le label slovène Dallas Records, raille avec bonheur le besoin d'un chef, d'un leader, d'un messie, chez une bonne partie des Balkaniques. ...mais c'est aussi un trait, je pense, de la population hexagonale, et de bien d'autres pays. Mais comme on dit dans les émissions de jazz, on écoute le morceau, et on en parle après.

Cobane, vrati se!
Berger, reviens !
Ovce tvoje
Tes moutons
ne mogu bez tebe.
ne peuvent rien sans toi
Mislili smo da sa strane
Nous avions cru qu'à côté
ima kvalitetnije ispase.
le pré était de meilleure qualité
Mislili smo da najbolju travu
Nous avions cru que la meilleure herbe (1)
cuvas za sebe. 
Tu te l'étais réservée.

(1) jeu de mot avec l'herbe qui se fume

Le clip passe subtilement et progressivement d'images de Tito, à celles de la montée de Milosevic. On y voit subrepticement des scènes de la répression exercée par ce dernier lors des manifs étudiantes des années 90. Des archives du temps béni où la Yougoslavie était une "puissance", le pays phare des non-alignés (on en avait parlé ici), on glisse vers la violence, le drame et les regrets.

Slobodan Milosevic : discours pour les 600 ans de la bataille de Kosovo

"Le pré de meilleure qualité d'à côté" à laquelle la chanson fait allusion, c'est le prêt à penser nationaliste et obscurantiste qu'ont embrassé peu à peu, et avec le même enthousiasme que leur cause précédente, ceux qui encore quelques années auparavant  portaient l'étoile rouge, bouffaient du curé, du pope ou de l'imam, et ne juraient que par Tito, l'autogestion, la "Fraternité et l'Unité" (2). On connaît la suite... 

(2) L'une des devises de la Yougoslavie

Rambo Amadeus a été l'un des artistes à la pointe de la contestation contre Milosevic, mais il n'est pas plus un "Titolâtre", à l'opposé de bon nombres de ses concitoyens qui, d'errances en errances idéologiques, reviennent aujourd'hui au "on n'était pas si mal sous Tito" sans reconnaître qu'ils en ont été, pour certains d'entre eux, les plus zélés fossoyeurs. Pour Rambo Amadeus, les magouilles et manipulations des politiques ne sont pas le seul problème des sociétés yougoslaves.  Le fait que ces politiques peuvent compter sur un terrain particulièrement fertile, avec une part non négligeable de la population en quête perpétuelle d'un "homme fort" est pour lui tout aussi préoccupant. 


On aurait tort de pérorer sur les "moutons des Balkans", car ce n'est guère mieux ici. J'ai le sentiment tenace qu'en France, on ne s'est jamais remis d'avoir coupé la tête au roi et que, de fait, nos "ténors" surfent eux aussi sur un besoin de chef, qu'il soit spirituel comme Mitterrand, qui du haut de sa roche de Solutré joua une carte quasi pagano-mystique, autocrato-cocardier comme De Gaulle qui se tailla une constitution sur mesure, martial comme le clan Le Pen ou le récent Slobodan Sarkozy... Lequel a beaucoup de point commun avec l'autre Slobodan (Milosevic) : "on va nettoyer les cités au Kärcher" résonnent comme un écho troublant au "nul n'a le droit de frapper les Serbes" que proclama l'homme fort de Belgrade lors d'une visite "historique" au Kosovo en 1987.



Dans les deux cas, ces phrases ont posé les bases de la prise du pouvoir par les deux leaders dans leurs pays respectifs. Slobodan Sarkozy a aussi, comme son prédécesseur serbe, divisé la société française. Il n'a certes pas opposé les Alsaciens aux Provençaux, les Parisiens aux Toulousains, comme "Sloba" l'a fait en distinguant les Serbes des Croates et des Bosniaques. Mais Überkärcher a instillé le poison du doute, de la jalousie et de la revanche entre fonctionnaires, commerçants, chômeurs, "France qui travaille", vieux, jeunes, "France de souche", "France de la diversité"...Comme le clan Milosevic, il a pipolisé sa carrière politique par une mise en scène médiatique de sa famille, et par des soutiens dans la pire frange du show-biz  : certes, Jean Sarkozy, ses platines de DJ et son scooter ont été battus par Marko Milosevic (fils de) et ses bagnoles, sa boîte de nuit et ses gonzesses, mais le principe est le même. Quant au show bizz, Carla Bruni et sa pop faussement indé valent certes mieux que le turbo folk siliconé (on est en France, quand même, pays de grande culture ;-) ), mais les Bigard, Doc Gyneco et autre Reno eux, sont assez proche du beaufisme autosatisfait qui a proliféré sous le règne de Milosevic. 


Toute une ribambelle de moutons (pas tous de droite de surcroit) a élu Slobodan Sarkozy à une nette majorité, convaincu d'avoir trouvé un maître-chien qui allait mettre de l'ordre dans le pays et rénover sa vie politique par son style agressif et iconoclaste. On l'a oublié, mais il faut se souvenir des témoignages de ses fans le soir de l'élection, leur vénération illuminée face au sauveur. Beaucoup s'en mordent les doigts aujourd'hui mais ils trouveront un autre chef, demain, pour porter leurs frustrations et leur besoin d'autorité.

Ne croyez pas que ce post est un appel à l'abstention. J'ai toujours pensé que s'exclure du jeu pour mieux le dénoncer et vomir sur les "moutons qui votent" est un peu trop facile. Les vrais moutons, ce sont peut être ceux qui, au nom du "ça sert à rien", du "tous pourris", du "c'est le CAC 40 qui décide", ou par absence de conscience politique, se tiennent à l'écart, pendant que le frontiste ira, lui, mettre son bulletin dans l'urne. A ma connaissance, dans une société comme la nôtre, donner sa voix à quelqu'un n'a jamais impliqué d'être ensuite un lèche-cul béat envers l'élu. Cela n'empêche pas de continuer à s'informer, de s'opposer le cas échéant à sa politique, et ce n'est pas incompatible avec d'autres formes d'action politiques.


On en revient à Rambo Amadeus : son choix de participer à l'Eurovision n'est en rien une démarche opportuniste d'un artiste quinquagénaire en mal de royalties, mais la position claire et assumée d'un trublion qui a compris que pour ébranler le système, il ne fallait pas être en dehors, mais en plein dedans. Un mouton noir dans la bergerie.

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