mardi 29 décembre 2015

FETE DE CLOTURE



L'info n'est guère parvenue jusqu'à nous, mais elle mérite pourtant qu'on s'y arrête, tant elle est significative de ceux que certains appellent déjà "l'Orbanisation de l'Europe", c'est à dire l'avènement d'une Europe national-populiste à la Viktor Orban, qui fait tâche d'huile et contamine presque l'ensemble des classes politiques européennes.
En novembre dernier, la Slovénie, emboîtant le pas à la Hongrie, réalisait l'un des rêves humides du militant FN de base, en déployant des fils de fer barbelés le long de sa frontière avec la Croatie, dans le but d'arrêter le flot des réfugiés qui remontent la péninsule balkanique pour rejoindre les terres riches et travailleuses d'Europe du nord. La coalition de "centre droit" qui dirige actuellement la Slovénie semble frappée de strabisme divergeant vers les extrêmes.


Le pays a été longtemps le gardien des portes de l'UE, contrôlant avec zèle les anciens compatriotes d'ex-Yougoslavie franchissant sa frontière sud, celle qui la sépare de cette zone de désordre qu'on nomme les Balkans. Aujourd'hui, l'Etat slovène s'est lancé un défi beaucoup plus ambitieux, être ce bastion ultime de la civilisation européenne en arrêtant ces nouveaux Sarrazins, auxquels d'ailleurs ses voisins balkaniques, avec leur laisser-aller coutumier, ont permis de remonter jusqu'aux contreforts des Alpes!

Il y a quelque chose d'absurde dans l'idée qu'une clôture parviendra à arrêter les réfugiés, dans l'idée même de les arrêter tout court. Ce que les tenants de l'orbanisation et du lepenisme n'ont pas compris, c'est que les barbelés, les matraques, voire les balles réelles ou la possible noyade sont un moindre mal et un moindre risque face au yeux arrachés par les brutes au service d'Assad, les viols et les massacres de l'EI, et les bombes larguées par les uns et les autres en fonction de leurs intérêts géostratégiques. Après la chute de Ceausescu, des Roumains étaient prêts à traverser le Rhin à la nage, malgré les courants et les tourbillons, pour rejoindre la France dans ma bonne ville de Strasbourg. D'autres étaient prêts à passer 24 heures claustrophobiques dans les faux plafond du train Bucarest-Paris, et c'était "juste" pour fuir la misère à l'époque.



Une vidéo amateure récente et de circonstance 
de la célèbre chanson de Kultur Shock "Build a wall"

Mais laissons ces considérations pour savourer l'autre info qui suit la première, en l'occurrence le début de désobéissance civile, depuis dix-quinze jours, en Istrie, où des habitants ont décidé de s'en prendre à la clôture barbelée. On trouve des interventions quasi situationnistes comme celle de la photo qui ouvre le post, mais les barbelés ont aussi été coupés à la pince par endroit. Le mouvement a pris de l'ampleur avec une mobilisation, désormais des deux côtés de cette frontière, qui s'est traduite par une grande manifestation croato-slovène à deux postes de douanes, le 19 décembre.

Les motivations des opposants sont multiples :
- saboter les tentatives de la Slovénie d'arrêter les réfugiés, bien que ceux-ci ne passent pas par cette zone, mais l'idée est de faire "tâche d'huile" et de sensibiliser à leur cause.
- protester contre la séparation physique des Istriotes, qui vivent de part et d'autre de la frontière, au mépris des principes de libre circulation de l'UE.
- protéger les animaux, qui sont pour le moment les principales victimes de cette clôture. Cerfs, biches, renards, etc. s'y coincent et meurent au terme d'une longue agonie due à leurs tentatives désespérées de se sortir du piège.

La manifestation de samedi s'est voulue festive et ludique. Un match de volley s'est tenu de part et d'autres de la clôture, des mains se sont serrées symboliquement au milieu des barbelés. La municipalité de Pula était à l'initiative du match, ce qui constitue un intéressant cas de prise de position officielle et politique, sur une thématique pourtant jugée "sensible" sur le plan électoral. Rien de très étonnant pourtant dans une région qui revendique un positionnement à part en Croatie, et vote d'ailleurs souvent de façon plus "progressiste" que le reste du pays. L'Istrie fut ainsi la seule région croate à voter majoritairement contre, au référendum demandant d'inscrire dans la constitution que le mariage est uniquement hétérosexuel


 Photo (c) HRT

Pula et l'ensemble de l'Istrie candidatent au titre de capitale européenne de la culture 2020 avec une thématique loin du marketing habituel des villes en compétition: la démilitarisation. "Nous sommes face à une nouvelle militarisation de nos villes et de nos vies, contre lesquelles nous combattons, au nom de toute l'Europe, par le sport, la créativité et la non violence", affirmait le communiqué des organisateurs du match, qui a mobilisé des sportifs professionnels croates comme slovènes.

Le maire de Rijeka Vinko Obersnel (Parti Social Démocrate) s'est lui ironiquement étonné de ce retour des lignes de démarcation physiques, alors que l'Europe "avait retrouvé son souffle" à la chute du mur de Berlin. Une remarque qui rappelle que dans cette région qu'est l'Istrie, à la croisée des cultures italiennes, slovènes et croates, et autrefois au croisement de deux pôles idéologiques, on n'a pas oublié la séparation du continent, que beaucoup ont ici vécu dans leur propre histoire familiale, à l'instar d'habitants d'autres régions frontalières. La lutte contre les barbelés est donc aussi l'affirmation d'un positionnement européen autre que celui qui prédomine au sein des élites politiques européennes, contaminées par un populisme qu'elles ont pourtant alimenté en construisant une Europe essentiellement mercantile et technocratique.


Vesel Božič = "Joyeux Noël" en slovène

Côté slovène, la contestation monte aussi, même si un sondage, évoqué par plusieurs médias slovènes et croates, affirmerait que 80% de la population approuve ces mesures. La société civile s'organise. Une manifestation a rassemblé 1000 personnes à Ljubljana, des jeunes principalement. De nombreuses personnalités de tous horizons sont montées au créneau pour dénoncer cette clôture "qui finira par se refermer sur le pays". Le quotidien de référence "Delo" (plutôt à gauche), a fait écho aux préoccupations exprimées à Pula en dénonçant "la militarisation et la radicalisation du discours public (...), auxquelles s'ajoutent le conformisme traditionnel de l'opinion ainsi que l'opportunisme politique". 


Sapin fabriqué en barbelés, posé Place de la République au centre de Ljubljana. 
Les photos qui constituent la "décoration" sont celles de plusieurs ministres slovènes.
Photo (c) Nebojša Tejić - STA

Même le groupe Laibach, c'est dire, est sorti de sa réserve pour dénoncer, pour une fois sans ambiguïté, "un Etat paranoïaque, égoiste et narcissique, qui n'a pas pris la mesure de ce que représente Auschwitz et participe même à la négation de son existence, un Etat qui, entouré de barbelés, n'impressionne que lui-même." Le groupe prépare d'ailleurs un concert à Bruxelles, capitale de l'Europe, qui se tiendra à Bozar le 9 février prochain avec le motto "Europe sans frontières". Le visuel, ci-dessous, est, lui aussi, sans ambiguïté.



Voilà où en est à l'heure où je boucle ce post. Sans exagérer l'importance de ce mouvement, minoritaire et probablement temporaire, on ne boudera pas son plaisir de voir la Yougosphère nous envoyer, pour une fois, un signal positif et raffraichissant, fait d'humanisme, d'engagement citoyen et d'esprit frondeur. Un beau pied de nez à la dérive du vieux continent.

C'est sur cette note optimiste, et avec cette photo d'ouverture de post qui symbolise à merveille notre ère du temps, que Yougosonic souhaite à ses estimés lectrices et lecteurs un passage sans accrochages ni égratignures vers la nouvelle année.


2 commentaires:

  1. Comme toujours YS, la justesse et la justice.
    J'en était restée aux barbelés avec croisillons de fil de fer. J'ai vu sur la vidéo la toujours plus sinistre invention de barbelés avec plaque de métal acérées. Le désir de brutalité sur le corps de l'autre n'a pas de limites.
    Non plus que la créativité et l'art du détournement

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    1. Oui, l'inventivité de l'homme dans l'ignominie est en constant progrès depuis l'âge de pierre... Les photos d'animaux pris au piège de cette clôture - que j'ai choisi de ne pas partager - suffisent pour imaginer le résultat sur un humain.

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