samedi 20 décembre 2014

ICONOCLASMES #2 : FUREUR DE VIVRE DANS LES CARPATES


Belle gueule, non ? Ce pourrait être un écrivain ou un acteur célèbre dans ses jeunes années. Ce mélange de mélancolie et d'inquiétude, d'un côté, et de détermination romantique, de certitudes de l'idéalisme, de l'autre, typique de cet "entre deux" de l'adolescence finissante. 

Ce jeune homme, c'est Nicolae Ceausescu à 18 ans (1936). Après les 25 ans de la chute du mur de Berlin, voici venus les 25 ans de la "Révolution Roumaine", en son temps porteuse d'un engouement et d'un espoir incroyable, aujourd'hui hantée par de nombreux points d'interrogations, brèche sanglante dans lesquels s'engouffrent nombreux fantasmes, parfois conspirationnistes, invoquant à tort et à travers CIA, irrédentistes hongrois, KGB, Securitate, etc. Tout n'est pas complètement faux, loin de là, dans ces spéculations... Mais pas complètement vrai non plus...

On sait aujourd'hui que Moscou, et notamment le pourtant peu philanthropique KGB, n'en pouvaient plus de ce psychopathe ingérable (sans vouloir faire de prédiction, pas exclu qu'un sort similaire frappe un jour Loukachenko ...quand Poutine en aura fini avec l'Ukraine, surtout que ce sera une bonne opportunité de faire remonter le capital de points perdus auprès de l'Occident). A Budapest, on surveillait l'olibrius, connu pour mener la vie dure aux Hongrois de Transylvanie. Enfin, même au sein du glacial PC roumain, on sentait que le vent tournait et que, peut-être, il existait un moyen de sauver sa peau, voire son pouvoir, moyennant quelques manipulations, et la suppression de l'encombrant "Danube de la pensée" (lire ici).

En attendant, le luxe que nous offre le recul nous permet de dire aujourd'hui, que, beaucoup moins sexy que l'allégresse exubérante s'exhibant au pied du mur de Berlin, et sans apologie aucune envers le conducator et son beaufisme érigé en gouvernance (projections privées de "Dallas", palais singeant les palaces saoudiens...), la révolution roumaine et ses ombres annonçaient d'autres retours de refoulés morbides dans le sillage de la "victoire sur le communisme"... à quelques centaines de kilomètres à l'ouest de Bucarest, en Yougoslavie.

Hormis quelques rares esprits chagrins, perplexes ou inquiets face à cet emballement soudain, la plupart d'entre nous n'ont rien vu venir, ivres de ce moment d'Histoire s'offrant à nous en direct, et persuadés qu'à l'est, tout le monde était un intellectuel dissident épris de liberté...

"J'ai pleuré quand la Securitate est tombée"
Le groupe Trula Koalicija ("Coalition trop mûre"), en 1992.
Punk cynique de Serbie sur la fin des idéologies.

Tout d'un coup, et contre toute attente, on découvrit que le cheveu se portait parfois très court entre Cracovie, Plovdiv et Riga, que même pour le vieux Tchèque au français suranné qui nous louait une chambre dans sa villa des hauteurs de Prague, les tziganes sont une sous-race détestable, qui devrait disparaître, peut-être pas de la terre, mais de la Tchécoslovaquie, très sûrement. On fut surpris, en tant que Français, d'être sèchement accueilli à Budapest par d'obsessionnels et véhéments "Trianon, Trianon !", et de ces envahissantes cartes, plus fréquentes que les livres de Sandor Marai ou d'Imre Kertesz, avant de comprendre qu'il s'agissait de cartes de la "Grande Hongrie", celle d'avant le scélérat traité qui amputa l'ancienne puissance alliée de l'Autriche.  On s'effaroucha que le valeureux peuple roumain, qui se libéra avec tant de courage et de dignité, se bastonne avec les Hongrois à Târgu Mures et ratonne sa propre jeunesse....N'en jetons plus! Tout cela fut au final une perte de virginité, la petite mort de nos illusions et de nos idéalismes adolescents. Pour certains, dont je fais partie, biberonnés au droit-de-l'hommisme de gauche un rien bien pensant, ce fut salutaire. Non pas que tout soit à jeter dans cette approche "démocratiste" de départ, mais la prise de conscience des pathologies de ces territoires contribua paradoxalement à mieux en comprendre les réalités, à les accepter, et donc à mieux en respecter les habitants, finalement appréhendés dans leurs complexités, individualités, et essais de survie.

Hélas, et sans vouloir paraître hautain, tout le monde n'eut pas ce recul et cette autocritique, et pour mieux reprocher aux "gens de l'est" de ne pas avoir été tous de lettrés, courageux et humanistes dissidents, bref, de ne pas avoir été à la hauteur de nos attentes, on a ressorti Vlad Tepes, accompagné de festifs gitans édentés, de bouffons du roi type Borat, et autres Bratisla'Boys, le tout arrosé à la vodka coupée à la nitroglycérine. Cette grille de lecture a eu des conséquences fâcheuses, pas seulement dans le tourisme néo-routard cherchant "the real thing" à Guca, ou dans la culture livrée aux Kusturica, mais parce qu'elle a inspiré les éminences grises de Bruxelles, Washington et d'ailleurs, dans leur approche paternaliste néo-colonialistes des régions concernées, avec les conséquences que l'on sait en ex-Yougoslavie.

Le malentendu demeure. Ce blog tente à son humble niveau et sans prétentions aucune, d'évoluer sur ces fractures, et d'y proposer à qui le souhaite quelques clés.


Cette belle gueule à la James Dean, qui, contrairement à Johnny Weissmuller, n'a pas d'origines roumaines, est le point de départ d'une sorte de cycle que Yougosonic proposera au cours de l'année qui vient, se permettant quelques détours au pied du "mur". Non pas que nous nous soyons lassés de nos appétits yougosphéro-yougoslaves, lesquels resteront nos fondamentaux et notre ligne d'horizon. Mais, comme on le comprend dans ce qui précède, ces événements, dont on commémore les 25 ans actuellement, ont été un moment fondateur pour moi. Il me semble utile de s'y arrêter et de partager, auprès de notre aimable lectorat, quelques découvertes et réflexions perso, glanées dans le sillage de ce bouleversement historique. Comme on l'esquissait dans "surplus d'Histoire...", il est intéressant de resituer l'ex-Yougoslavie dans une perspective européenne/"est-européenne" plus globale, pour mieux saisir les convergences, l'éventuel destin commun, comme les différences entre pays de l'Europe post-communiste. Enfin, 25 après les embrassades de Checkpoint Charlie, et l'excitation palpable de ceux qui proclamaient la liberté en direct à la télévision roumaine sous les yeux médusés du monde entier, il n'est pas inutile de tenter un inventaire, personnel et subjectif, de certaines mémoires, mais aussi de certains possibles, de cette "autre Europe" qui a peut-être plus à nous dire qu'on ne le croit. 

En attendant la suite de ce cycle et d'autres posts sur l'ex-Yougoslavie, Yougosonic souhaite à ses lectrices et lecteurs une belle fin d'année.



"Iconoclasmes" est notre rubrique "arrêt sur image". Le premier épisode d'iconoclasmes avait été publié en tout début d'année 2014...Pour le relire, c'est par .

3 commentaires:

  1. Salut
    J'ai l'impression qu'on retrouve dans les médias le même aveuglement à propos de la révolution ukrainienne mais à un point jamais atteint.Mais que la réaction contre cette propagande sur internet est saluaire mais parfois douteuse . Mais peut être les souvenirs télévisés sur Timisoara m'ont rendu paranoiaques vis à vis des journalistes.
    Bonne fin d'année

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    1. On n'a sans doute pas appris grand-chose depuis la Révolution Roumaine. En même temps, je pense qu'il est difficile pour un journaliste qui se trouve dans le feu de l'action d'avoir le recul nécessaire, ni toutes les clés pour prendre toute la mesure des forces en présences, des enjeux, etc. Ce n'est pas pour excuser certains travers du traitement de l'info, mais quand l'Histoire s'emballe , on est tous captivés. Après tout, j'y ai cru moi même, au départ, aux charniers de Timisoara ! (Bon, j'étais pas sur place!). C'était plausible, vu la psychopathie du conducator.

      A vrai dire, si je reste méfiant sur le traitement média, je suis beaucoup plus parano face à bon nombre de portails de pseudo-info qui circulent sur le net, et dont on ne sait pas toujours qui il y a derrière. Le conspirationnisme ou le réductionnisme me font perso plus flipper que des articles du Monde, de Libé ou du Figaro, dont on connait, grosso-modo, la ligne. Quand ce sont des blogs ou des sites qui s'autoproclament "Infolibre", ou "Réseau ceci" ou "décontamination" (les noms ont été floutés pour protéger les coupables), je redouble de prudence. D'accord sinon avec ta position équilibrée sur l'Ukraine.

      J'imagine les engueulades sur FB ou les forums si internet avait existé du temps de la Révolution Roumaine :
      - Oui, mais la Securitate défend l'intégrité territoriale du pays!
      - Nan, mais Ceausescu c'est un rempart contre l'Allemagne d'Helmut Kohl
      - La destruction des villages roumains, c'est un fake inventé par les sionistes Hongrois !
      Etc...

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  2. Merci pour ta réponse. Effectivement on peut se demander ce que ça aurait donné dans les années 90...Je ne suis pas sur que ça n'aurait eu que des effets négatifs:un blog a quand même permis de faire savoir qu'une chroniqueuse de France Culture qui disait que les prorusses avaient arraché les yeux de militaires ukrainiens n'avait pas de source valable et avait extrapolé(le CSA le lui a fait remarqué).

    A vrai dire je viens de finir d'écouter France culture Romain Goupil (qui s'est ''engagé pour Sarajevo'' mais pas seulement...) et un jeune journaliste engagé auprès des révolutionnaires de Maidan, j'en sors renforcé dans ma paranoïa.
    http://www.franceculture.fr/emission-le-rendez-vous-forum-l-annee-vue-par-la-culture-%3D-25-figures-de-la-guerre-contre-enquete-20
    Je pense que contrairement aux éditos de journalistes ou philosophes largement aussi azimutés, les blogs que tu cites n'ont pas d'effet sur les prises de décision au sommet de l'état et donc je crois que les premiers ont largement plus d'influence (c'est encore plus observable au niveau de la politique économique et sociale ).

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