jeudi 29 novembre 2012

SPLITTING IMAGE

Après deux mois de rude labeur, ce qui explique en partie des publications un peu plus sporadiques, qu'heureusement notre amie l'Etoile Noire aura compensé de sa belle plume avec sa carte blanche (à relire ici et ), le taulier s'est offert début novembre, avec Madame, un petit break à Split, 2e ville de Croatie (400 000 habitants) et capitale de la Dalmatie.
Pas radin, on a choisi d'en faire profiter les copains, et nous vous proposons, chers lectrices et lecteurs, un rendu dans ce blog, à travers deux à trois posts qui compileront les souvenirs, impressions, enseignements de ce séjour, et quelques éventuels compléments d'info.

Spécial pour les copains, les Alpes vues d'avion quelque part entre 
l'Autriche et la Slovénie.
Au loin, sous les nuages, l'Adriatique !


Un rendu en mode "freestyle", quelque part entre la carte postale et le carnet de route, la soirée diapo et le vagabondage gonzo, à l'instar de cette première partie où nous lâchons en roue libre quelques observations et ressentis.

Split !

Premier constat : c'était bien de revenir dans la Yougosphère ! Mine de rien, mon dernier séjour sur les terres ex-Yougoslaves remonte à 2009. Forcément, ça commence à dater. Loin des nombreux médias, portails, blogs, profils Facebook, tribunes et autres concentrés de Balkans qui m'arrivent essentiellement par le net, et si j'excepte quelques visites d'amis yougosphériques, revenir sur place permet de voir comment les gens vivent vraiment, de discuter avec eux, de dénicher quelques inattendus, de confirmer certaines impressions, d'en infirmer d'autres, bref, c'est se confronter, sans filtre ni succédané, à la réalité.


Split : chambre avec vue.

Et en matière de "pays réel", j'ai été servi, puisque nos hôtes, comme une bonne partie des habitants de Split, vivent, non pas dans une marina au bord de la mer avec David Guetta en fond sonore, mais dans une tour de l'énorme ville dortoir qui part du vieux centre pour aller buter sur les contreforts des superbes montagnes alentours. Bienvenue à Sucidar (prononcer "Soutchyidar"), riante cité des trente glorieuses socialistes, perchée sur un plateau dominant la ville et offrant une vue imprenable sur la mer (voir ci dessus). 

Sucidar, mon tier-quar !

Autant le dire, même si comme ses cousines françaises, elle aurait besoin d'un coup de rénovation, la cité n'a pas grand chose à voir avec l'ambiance flippée du 9-3, et le quart monde au bord de la crise de nerf des banlieues hexagonales : les appartements ne sont certes pas de première fraîcheur, mais ils sont grands, confortables, agréables à vivre, et le quartier est bien conçu en termes d'urbanisme et d'aménagement avec des îlots de verdure, des espaces où les vieux peuvent s'asseoir et papoter tranquille (un sport national dans cette région méridionale), des palmiers au milieu du béton, et tout un ensemble d'infrastructures (commerces, services...) qui désenclavent le quartier. Il est vrai que le campus universitaire se trouve directement en contrebas, ce qui explique sans doute que le supermarché du coin passe un vieux ska de Prljavo Kazaliste, du métal ou du rap, et que l'endroit soit bourré de jeunes à l'allure fort sympathique.

Prljavo Kazaliste (prononcer "Peurlyavo kazalichté") - "Mi plesemo"
Sympa en fond musical pendant qu'on choisi ses bières

Autre point intéressant, la mixité sociale n'a pas disparu à Sucidar, et on trouve de tout dans mon HLM. De toute façon, le terme de mixité sociale ne rend pas exactement compte de la réalité croate contemporaine. Le pays se cherche une "classe moyenne", quasi inexistante, et hormis une infime minorité de "grandes fortunes", la majeure partie de la population, quel que soit son âge, son métier, son niveau d'études,  galère, avec un coût de la vie hallucinant : certains produits sont plus chers qu'en France (où l'on est déjà pas mal racketté au porte monnaie !) pour un salaire moyen atteignant à peine les 700 euros !

On trouve de tout dans mon HLM, même des compteurs électriques 
"made in Yugoslavia"!

De fait, la scène qui se répétera quotidiennement à la fenêtre de ma "chambre avec vue" sera celle de ces inspections régulières par des "ménagères de moins de 50 ans" des bennes à déchets du quartier. On y observera aussi un pauvre hère de plus de 60 ans, triant méthodiquement dans son tacot hors d'âge des prospectus publicitaires dont il inondera les boîtes aux lettres du quartier.

Les petits métiers de la Croatie d'aujourd'hui.

Etrange pour un pays où la notion de pouvoir d'achat se traduit par l'expression, bien connue du Vardar au Triglav, de "on se débrouille", la publicité est omniprésente et invite à consommer sans entraves ni complexes. "Volim shopping" ("J'aime le shopping") comme le proclame un billboard au bord de l'autoroute qui mène de l'aéroport au centre-ville, et les bus locaux sont barrés sur toute leur longueur d'un "je vous emmène faire du shopping".




On se débrouille donc, et à côté des énormes panneaux publicitaires qui estampillent les barres d'immeubles, les commerces les plus florissants et que l'on croise à chaque coin de rue sont les "Kladionice" ("Kladi'onitsé", salles de paris sportifs) et les "Otkup zlata" ("Ot'coupe zlata", littéralement "achat d'or"), où l'on peut liquider les bijoux de famille ...l'argent sera ensuite réinvestit dans les paris sportifs ;-) CQFD ;-)


Bienvenue dans l'Etat-Hajduk !
(prononcer "Haïdouk")

Bonne transition pour parler de la première chose que le visiteur remarquera et qui ponctuera son séjour de façon récurrente et hypnotique : le Hajduk Split ! Le club de foot de la métropole dalmate est ici plus qu'une simple équipe qui caracole en tête des compétitions sportives, c'est un véritable phénomène de société, une institution, un état d'esprit. Je ne suis pas branché foot, et je vomis la version "jeux du cirque" hormono-sponsorisée actuelle de ce sport, mais le Hajduk est un marqueur identitaire et géographique omniprésent, et passer à côté de ce phénomène signifie passer à côté d'une réalité incontournable de la ville, que cela plaise ou non. Soyons clair : une branche non négligeable de ses supporters est à peu près aussi irritante que les donneurs de leçon de sport, imbibés de pastis, commentant, accoudés dans un boui boui de la Canebière, le dernier match de l'OM. Par ailleurs, la nébuleuse nationalo-fascistoïde a investit les tribunes de longue date, et c'est elle qui est venue "casser du pédé" lors de la tristement célèbre gay-pride que les LGBTI locaux tentèrent d'organiser en 2011. De surcroît, le club est empêtré dans de sombres affaires de gros sous à l'instar de l'économie croate après 20 ans de règne HDZ.

Mais l'histoire du club n'est pas inintéressante dans sa dimension sociologique et politique : il est fondé au début du XXe siècle par des étudiants originaires de Split installés à Prague (c'est encore l'Autriche-Hongrie), qui, après avoir vu un match dans la capitale de la Bohême, décident de monter une équipe dans leur ville natale, qui en est alors dépourvue. C'est l'époque où Split est en plein développement, passant du statut de gros bourg provincial à celui de véritable ville, avec l'arrivée des "vlaji" (prononcer "Vlayi"), les "péquenauds", venus des environs et passant du statut de paysans à celui d'ouvriers, de dockers, etc...(On reviendra  sur les Vlaji dans le prochain post).


Le Hajduk en 1912.
Au bout à gauche, le Docteur Toma Mimica, l'un des fondateurs du club.

De fait, le Hajduk joue un rôle social évident. D'abord amateur, il accueille en son sein ce nouveau prolétariat, offrant un loisir accessible et socialement structurant. Il devient un creuset, fédère les quartiers où se développent des associations de supporters, des amicales, des clubs "juniors", homogénéisant ainsi une ville à la population jusque là composite. La fierté liée au Hajduk est donc d'abord un phénomène "populaire" (au sens propre du terme). Pourtant, le pouvoir socialiste, loin de surfer sur cet héritage, tiendra le club, devenu entre temps professionnel, à distance dès les années 60. A raison en ce qui concerne les "Torcidas" (organisations de supporters), qui provoquent déjà des troubles à caractère parfois "identitaire", à tort sur le reste, car ce qui dérange avant tout les autorités, c'est que le Hajduk et ses nombreuses victoires remettent en cause le leadership de l'Etoile Rouge de Belgrade. La suite épouse la droite ligne du vaste recyclage idéologique des années 80, de la "Fraternité et Unité" vers "le chacun pour soi et chez soi". De fait, les "Torcidas", à l'image d'autres groupes de hooligans à Zagreb et à Belgrade, sont peu à peu noyautés par les voyous, les groupes mafieux et l'extrême droite.

"Patria Nostra - les Non alignés" (sic!)
Qui s'y frotte s'y pique!

Chaque quartier a sa "torcida", son groupe de supporter.
Ici, le comité d'accueil mural à l'entrée de Sucidar.

A la vu des graffitis qui ornent la ville, entre imagerie "gangsta rap", esthétique de guérilla urbaine, affirmation clanique et virilité fascisante, il semble évident que cette lame de fond musclée et nationaliste reste fortement présente...ce qui ne veut pas dire que tout fan du Hajduk est un pitbull sobre en humour écoutant skrewdriver en boucle en sifflant sa Ozujsko ! J'ai même rencontré une jeune supportrice fort sympathique, et consciente des travers précédemment évoqués, qui affirma au passage aussi que "Belgrade est vraiment une chouette ville". Tout n'est pas tout noir ou tout blanc...

Sympa sur les murs, en vrai je sais pas...

En dépit de ce qu'ils véhiculent, les graffitis sont souvent très bien faits, il faut le reconnaître, et l'amour du Hajduk s'exprime aussi par de nombreuses mantras barrant les murs de la ville ou les abords des autoroutes : "Les années passent, l'amour [du Hajduk] demeure", "Une vie ne suffira pas pour vivre auprès [du club]", "Le Hajduk vivra éternellement"...de véritables prières.

Slogan de la Torcida de Pakostane :
"Un étranger jamais ne comprendra, 
ce qui relie entre eux, 
les gens de Dalmatie"
En effet, je confirme ;-)


Justement, Dieu aussi a repris ses parts de marché, après des années de laïcité et d'athéisme "officiels" à l'époque yougoslave (officieusement, ce n'était pas si vrai). Chaque quartier de Split se doit de posséder son église. D'après certaines études, 89% de la population croate se dirait catholique, score quasi stalinien qui fait que le catholicisme est presque de facto religion d'Etat : une partie des impôts que paye le contribuable croate va à l'église, qui, elle, en est exemptée en dépit de son importance réserve foncière (le clergé possède de nombreuses propriétés) et de son activité commerciale à peine voilée (ventes d'objets religieux).

"Maman, je vais à la sainte messe, ainsi je suis un peu meilleur(e)"
Affiche à proximité d'une école à Donji Okrug (30 km au nord de Split)

L'importance de la religion se traduit aussi par des aberrations dont témoigne l'école de Sucidar elle-même, privée de gymnase pour cause de construction de l'église dont elle est désormais mitoyenne, sans que personne n'ose réagir. Bien sûr, "officiellement", la Croatie est un pays laïque, et le catéchisme n'est "officiellement" pas obligatoire durant la scolarité, tout comme le fait d'aller à la messe le dimanche ...avec son prof de catéchisme. Ce n'est pas obligatoire, mais, heu, comment dire... que va penser le prof de catéchisme ? Que vont penser les voisins (dont tous les enfants vont au cours et à la sainte messe) ? La pression sociale est très forte, et celui qui tente de préserver sa progéniture de cet endoctrinement subit diverses intimidations, allant des simples ragots au sèches injonctions. Ce n'est pas inventé, c'est ce que subissent certaines de nos connaissances sur place, qui ont fait le choix de la "libre pensée". Bien sûr, cette situation n'est spécifique ni à Split, ni même à la Croatie...Admirez les kitschissimes pâtisseries néo-byzantines à Belgrade ou proto-saoudiennes à Sarajevo, et vous comprendrez que le phénomène touche toute l'ex-Yougoslavie post-conflit.




Le conflit en question marque lui aussi la structure de la ville, non pas avec des éclats d'obus ou des ruines, Split n'ayant connu que des affrontements limités (prise de la caserne de l'armée yougoslave), mais à travers ce magnifique outil d'affirmation nationale que sont les noms de rue. Vous connaissez le blog "Géographie de la ville en guerre" (si non, je vous invite à le lire) ? Et bien ici, c'est géographie de la guerre en ville ! La plupart des axes importants portent des noms liés à la guerre, et la principale pénétrante de l'autoroute jusqu'aux abords de la vieille ville s'appelle "Rue de la guerre patriotique" ("Ulica Domovinskog Rata"), le nom officiel de la guerre en Croatie. La partie urbaine de l'autoroute s'appelle "Boulevard du Corps de la garde nationale" ( "Zbora narodne garde"), et à proximité passe la longue avenue Vukovarska, en l'honneur de la célèbre ville martyre de Slavonie, dont, bien sûr, les souffrances se doivent d'être commémorées.

Le centre de Split : 
au nord en jaune, "Domovinskog rata", 
au centre en blanc (parallèle à "Domovinskog Rata") :  "Vukovarska", 
à l'est en jaune "Zbora narodne garde".

Détail piquant, malgré la tragédie de cette ville, Vukovarska s'appelait avant la guerre Balkanska : l'avenue des Balkans (hum!). Des Balkans à Vukovar, il faut reconnaître qu'il y a une certaine logique, la rhétorique officielle croate ayant toujours clamé que ce sont des sauvages "balkaniques" qui ont agressé "l'européenne" Croatie. Nous reviendrons sur cette question et sur le mot "Balkan" dans le prochain post.


L'entrée de la "rue de la guerre patriotique" qui est aussi l'entrée de la ville.

Cette structure mémorielle de la guerre à travers la ville s'accompagne et se complète, sur les axes secondaires, par des "patriotes" célèbres, pas tous infréquentables, comme le dissident Bruno Busic, apôtre d'une démocratisation de la Yougoslavie, mais retenu ici comme héraut du Printemps Croate et comme martyre des services secrets yougoslaves (il finira assassiné). En revanche, on est moins indulgent - le mot est faible - quand on tombe sur la rue du Cardinal Stepinac, "bras spirituel" de l'Etat Oustachi durant la IIe Guerre Mondiale, ou face à la statue du "Docteur Franjo Tudjman", le très machiavélique et autoritaire père de l'indépendance, sur le front de mer.



La ville est ainsi structurée, "maillée" à l'aune de la "Renaissance nationale" (c'est d'ailleurs le nom de la magnifique promenade qui longe la mer, aux abords de la vieille ville, juste avant la statue du Docteur Folamour évoqué ci dessus), voire de sa reconquête. 

Bien sûr la Croatie, n'est pas le seul pays à honorer ainsi ses hauts faits d'armes ou supposés tels. La France a ses rues "du Général De Gaulle", ses rues "du 20e régiment", ses places "de la Libération"...Mais ce qui est troublant ici, outre l'aspect récent de cette mise en mémoire, c'est ce cocktail qui met à un même niveau des hommages légitimes (Vukovar et les rues en l'honneur d'écrivains), et une glorification de personnalités douteuses voire franchement indéfendables. On notera aussi l'hypocrisie et l'absence de questionnements dans cette organisation martialo-patriotique des noms de rue : Vukovar est ses victimes ont bon dos pour fédérer et réunir la nation. On oublie que le vénéré Franjo Tudjman a refusé avec beaucoup de cynisme l'évacuation des civils (il fallait des martyrs), demandée pourtant par l'officier en charge de la défense de la ville, et par ailleurs, hormis les commémorations annuelles, le jour anniversaire de la chute de Vukovar, où il est de bon ton pour la classe politique d'aller se prosterner et faire des grands discours, la cité et sa région demeurent économiquement sinistrées  : où est réinvesti l'argent du tourisme dalmate ?


"Embrasse tes frères et tes fils qui ont donné leur vie,
sur l'autel de la patrie" Kata Soljic (1922-2008) 
Peinture murale sur Vukovarska


Cette "historification" officielle des noms de rue se trouve confortée par toute une pratique amateure de peintures murales et de graffitis à la gloire de l'armée croate ou à la mémoire des victimes, sans oublier les portraits de
Gotovina, sur les murs, parfois en vitrine, ou sur des tee-shirts en vente dans certaines échoppes.




Lorsque j'étais à Split, le général n'avait pas encore été libéré, dans l'hystérie nationaliste que l'on sait...Cependant, proportionnellement, il faut reconnaître que ses portraits sont moins nombreux que ceux de Mladic, Karadzic ou Seselj que l'on peut voir à Belgrade. Détail amusant, certains graffitis recyclent à la sauce nationale les vieux slogans titistes, tout comme les incontournables drapeaux croates que l'on voit chez le coiffeur, chez le boulanger, chez le boucher, dans la Kladionica ou dans le magasin d'électroménager et qui remplace à merveille l'ancien portrait de Tito qui bien souvent trônait là auparavant.



Contrairement à ce que l'on pourrait être tenté de penser, tous les symboles de l'époque yougoslave n'ont pas complètement disparu, et, au hasard de mes errances dans le vieux Split, je suis tombé sur quelques fantômes comme cette plaque en l'honneur d'un militant communiste du quartier ouvrier de Veli Varos, torturé  à mort par les fascistes italiens durant la IIe Guerre Mondiale.




L'ancien Hôtel de Ville, magnifique bâtiment vénitien, abrite lui même un texte lié à la libération par les Partisans, et le "monument aux prisonniers politiques, internés et déportés" construit en 1976 dans le plus pur style "socialiste futuriste" yougoslave trône toujours fièrement devant le siège du Zupanija (à peu près l'équivalent de nos départements).


Photo (c) Dragan Mileusnic - Leksikon YU Mitologije

Surprenant, à priori, dans le fief du très à droite et yougophobe Zeljko Kerum. Ceci dit, ces plaques et monuments sont peu nombreux et les traces de vandalismes ne laissent pas de doute sur la faible vénération dont ils font l'objet, dans un accès d'amnésie profonde, car la ville, peut importe ce que l'on pense de l'héritage yougoslave, a perdu un grand nombre de ses enfants dans la lutte contre l'occupant fasciste italien...
Quant à Kerum, ses jours à la tête de la municipalité de la capitale dalmate sont peut être comptés, d'après un sondage pêché avec intérêt dans Slobodna Dalmacija, le quotidien local, qui donnerait Don Ivan Grubisic favori pour emporter la place de maire.


Don Ivan Grubisic
Photo (c) Jakov Prkic - Cropix

Ce prêtre à la retraite originaire de Split, très actif sur le net, est un outsider dans le paysage croate, tant ecclésiastique que politique : dénonçant les privilèges de l'église (une première pour un membre de l'institution!), la corruption et l'arrogance des politiques, il prône - pour faire court - une "Croatie éthique et citoyenne", débarrassée de ses démons, apaisée avec ses voisins, et où chacun, quel qu'il soit, pourrait faire fructifier ses talents. Vaste ambition, mais qui suscite un écho grandissant chez de nombreux croates qui ne se retrouvent pas ou plus dans l'offre politique actuelle ! Son élection à la tête de la deuxième ville du pays serait un symbole fort. Nous verrons dans quelque mois si les Splitois choisissent majoritairement de tourner le dos au "primitivizam" ("primitivisme"...on reviendra sur ce mot sous peu) et au fameux "Splitsko stanje uma" ("Etat d'esprit de Split") mêlant frime, violence et fuite des réalités, en jouant cette nouvelle carte.


TBF, rappers de Split engagés contre le "splitsko stanje uma".
Un groove sombre et habité où même le folklore échantillonné semble pris de malédiction.

La ville mérite plus que son agressivité latente, ses ombres du passé, ses intrigues de palais et ses magouilles immobilières. Dès l'arrivée, on est séduit par sa pulsation urbaine, son électricité, son allure de cité moderne. On aime ce mix de façades Jugendstil et de vieilles masures en pierre blanche, de palais vénitiens et de "cubisme" socialiste, avant de plonger dans le charme secret et intime de ses ruelles.  Errer dans le vieux Split est un ravissement. La ville s'est développée à partir de l'ancien palais construit par l'empereur Dioclétien dans l'Antiquité, et de nombreuses habitations sont construites dans les murailles ou dans les ruines de ce palais. Comme à Rome, il n'est pas rare de tomber sur des vestiges à ciel ouvert.


Vagabondage dans le vieux Split : sous vos pieds, les ruines du Palais de Dioclétien.

On se prend vite au jeu de ce dédale de ruelles étroites en enfilade, où chaque ouverture, chaque passage, chaque recoin est une invitation à poursuivre l'exploration, au point que quand on en sort enfin, on le regrette. Dans ces espaces resserrés s'écoulent la vie et l'activité : les commerces parfois minuscules et souvent à l'étroit, s'y glissent, les cafés s'y nichent, n'hésitant pas si besoin à investir les venelles, sans pour autant déborder agressivement. 




Le vieux Split, c'est aussi le "Pazar", le marché qui vit, bruisse, vend, discute, alpague, s'engueule, chaque jour à l'extrémité de l'ancien palais. Dans tout voyage, une visite au marché est pour moi un passage obligé : la réalité d'une ville ou d'un pays s'appréhende aussi là, au milieu des visages burinés des paysannes - qui en nos terres du nord opulentes seraient depuis longtemps à la retraite - vendant parfois seulement quelques frustes légumes, dans les échanges amicaux avec un vendeur jovial, dans les carcasses de viande lourdement pendues, derrières lesquelles on distingue au mur l'omniprésent drapeau national, dans l'atmosphère inimitable faite de bruits, de couleurs, d'odeurs, d'accents, et de sensations...


Le "Pazar"
Photo (c) Croatiaholidayshr

Au passage, le bio arrive ici aussi, et ce sont des jeunes producteurs qui se lancent. Par ailleurs, on ne se fait pas découper à la machette si l'on parle avec l'accent serbe, variante de la langue que je maîtrise beaucoup mieux que sa fausse jumelle croate, même si par prudence autant que désir d'intégration, je tente de placer des "ié", là où le serbe mettra un "é" ...mais le naturel revient, c'est bien connu, au galop, sans pour autant, encore une fois, susciter des ruades agressives. Le DJ belgradois Marko Nastic est d'ailleurs à l'affiche d'une soirée techno, dans l'une des boîtes du front de mer. Musique actuelle serbe pour nouvelle génération de croates. 


"Musique actuelle serbe pour nouvelle génération de croates"

A côté des affiches annonçant le set de Marko Nastic, une autre proposition de "party" sonne plus nostalgique, et pour cause, elle se nomme "génération perdue".




Le "pazar" donne presque directement sur la fameuse "Promenade de la Renaissance nationale" et donc le front de mer, avec ses innombrables terrasses. C'est là que, le lendemain de mon arrivée, les bras chargés de diverses victuailles du marché, je déguste une "karlovacko" bien fraîche. TBF, le groupe de rap local chantant en dialecte dalmate, passe à la radio avec son morceau rendant hommage à l'organe sexuel masculin via les nombreux surnoms qu'il possède. Pas ce qu'ils ont fait de mieux (l'humour "bite-couille", pas mon truc!), mais je vois mal leurs chansons très engagées contre "le splitsko stanje uma" passer sur "Riva" (le surnom que les Splitois donnent au front de mer) à une heure de grande écoute. Et puis, c'est quand même sympa de les écouter un 4 novembre, en ne pensant à rien, en pleine séance d'ultraviolets gratuite sous un soleil généreux et chaud ;-)



Une belle fin d'après midi de novembre sur "Riva".
A bientôt pour la suite de "Splitting Image"...




2 commentaires:

  1. Je vais vivre à Split la moitié du temps mais le panorama que vous décrivez correspond bien à ma première impression

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    1. Je vous souhaite une intégration réussie dans cette ville, certes non dénuée d'ombres secrètes et de chausse-trappes, mais attachante et passionnante, si on se donne la peine d'aller vraiment à sa rencontre. Retours d'expérience bienvenus par ici, si jamais vous souhaitez les partager...

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