lundi 10 septembre 2012

ENCLAVE OFF DE SAISON

Après plusieurs mois d'attente, la programmation de la "saison croate" qui démarre en ce moment en France, sous le slogan imparable (hum!) de "Croatie, la voici", nous est enfin révélée. Globalement, l'ensemble est plutôt alléchant, et nous vous invitons, si le bled où vous habitez a la chance d'accueillir l'un ou l'autre des projets de la saison, à aller écouter, voir, lire, découvrir ce que la scène artistique de se pays a à nous offrir.

On soutient bien sûr la manifestation pour cette fenêtre à grande échelle qu'elle ouvre sur la Croatie, mais en musiques dites "actuelles" ou "amplifiées" (le mot magique de la novlangue du Ministère de la culture pour désigner tout ce qui grouille du death metal au jazz manouche en passant par la hardtech' et le blues gnawa...), on reste quand même un peu sur notre faim. Certes, on est toujours ravi de voir Darko Rundek, Schyzodrome, et côté trad', ça tient la route entre Dialogos et les nombreuses "klape" (singulier "klapa"). Mais pour le reste, et sans vouloir à tout prix faire le "pisse froid" de service, n'y avait il que l'insupportable Gibonni (croisement croate de Francis Cabrel et de De Palmas mâtiné de hard FM et de variété italienne) et quelques VJ de Zagreb (dont on attend les noms!) à montrer aux "froggies" blasés ? "Sign of the times", on est somme toute dans une offre assez consensuelle qui contraste avec l'audace des programmations musicales des saisons culturelles tchèques et polonaises, il y a une dizaine d'années (sous la houlette de la regrettée Krisztina Rady), où on avait pu voir sur nos scènes des artistes inventifs et défricheurs comme Iva Bittova, Robotobibok, Metamorphosis, Uz Jsme Doma pour n'en nommer que quelques uns...

Où sont les Stereo Virus Kollektive, Debeli Precjednik, Bambi Molesters, Kandzija, Umrijeti za Strojem, Golem, St!llness, TBF, General Woo, Zdenko Franjic, Let 3, Fjodor...et bien d'autres encore ? Des artistes "actuels" avec un discours, une identité, politique ou artistique, ou les deux à la fois, et qui auraient été un reflet bien fidèle de ce qui se fait et se ressent en Croatie.
Et qu'on ne me dise pas que c'est un problème de langue...Tout le monde sait combien les croates sont susceptibles sur cette question ;-)))

Alors, où sont tous ces groupes ? Et bien ils sont ici, pardi !
Compilé par nos soins, voici le "Top of the Popov" perso et non exhaustif du rock croate qu'on défend et qu'on aime dans notre petite enclave yougosonique. Une sorte de micro festival off. Payez vous !


Stereo Virus Kollektive
Derrière ce "collectif "basé à Osijek se cache en fait un seul homme, Goran Lisnjic, figure de l'underground yougo dans les années 80, où il officia dans des formations cultes comme Diskretni Sarm Burzoazije ("le charme discret de la bourgeoisie") puis Metropolie Trans, et fut actif dans la production de fanzines, K7 et autres activités DIY. Ses projets actuels se déclinent via des identités à choix multiples : Sonic Spray, Dada Jazz, United Medias of Re*form et donc Stereo Virus Kollektive. Des projets mêlant sons, visuels et manifestes, dans une imagerie entre culture de masse retro, clubbing futuriste et sensualité décalée, le tout au service d'une musique entre indus, acid-house, dub, collages, trip hop et chemical beats.


Debeli Precjednik 
(prononcer "débéli Prèdsyédnik")
Formé à Osijek en 1993 en pleine guerre, "Président obèse" (une allusion aux politiques croates menant grand train ?) est l'une des formations phare de la scène hardcore croate, et sa (bonne) réputation en fait un groupe culte dans toute la Yougozone. Comme souvent dans le hardcore, la rage et la violence musicale vont de pair avec un propos, une éthique : à travers des textes souvent ambigus et à tiroir, le groupe pose un regard critique et sombre sur le monde en général et la société croate en particulier, dont il interroge l'héritage guerrier. "Pour nous c'est très important de parler de cette guerre, de regarder les responsabilités de chacun en face, ce que beaucoup de gens ici refusent de faire, alors qu'il y a eu des crimes commis des deux côtés". Comme le suggère cette chanson "ce ne sont pas les armes qui tuent" mais bien ceux qui les utilisent....


Très présente en ex-Yougoslavie, la culture rock'n'roll et tout le folklore qui va avec se sont particulièrement épanouis en Croatie. Originaire de Sisak, à 60 km de Zagreb, les "tortionnaires de Bambi" sont une formation aujourd'hui reconnue au delà des frontières croates, notamment en Allemagne et en Europe du Nord. Après des débuts dans le surf "orthodoxe" à la Dick Dale, ils ont aujourd'hui élargi leur univers pour aboutir à un rock sombre, racé et élégant. 


Kandzija 
(Prononcer Kann'djiya)
Territoire fortement marqué par la guerre, la Slavonie est le centre d'une scène rap extrêmement riche, et Kandzija en est l'un acteurs les plus intéressants. Son style déconneur et son autodérision (1) le rendent immédiatement attachant, et ses textes, tantôt déjantés, tantôt aigres-doux, sont assez représentatifs de l'état d'esprit frondeur d'une jeunesse qui tente de se construire dans un environnement provincial, sinistré et post-traumatique, bien loin des plages dalmates et de leur univers "beachclubbé" et "cartepostalisé".
Une sorte de Beastie Boys rural qui rafraîchit le genre.
(1) au début du clip, où Kandzija singe la frime du gangsta rap, le rapper est interrompu par sa mère, qui exige qu'il lui rapporte sa voiture immédiatement.
"- Ramène la voiture tout de suite!!! J'ai des courses à faire!"
"- Mais maman, je tourne un clip" implore-t-il
"- Tout de suite !!"
"- OK, OK, tout de suite (soupir)"


Umrijeti za strojem 
(Prononcer "Oumriyéti za stroyèm")
Zagreb héberge l'une des formations électro-industrielle parmi les plus intéressantes du moment. Loin de certaines insupportables kitscheries dark ou grand-guignol nées dans le sillage de Rammstein et autre Marilyn Manson, les deux jumeaux de "Mourir derrière la machine" développent un indus très personnel et original. La voix éthérée et profonde évoque, détail piquant dans la très catholique Croatie, le chant d'un pope orthodoxe.
A l'instar d'autres groupes du genre, Umrijeti za strojem interroge les codes de la culture du masse, comme on le voit dans cette superbe vidéo rétro-avant gardiste de Konrad Medvedov (activiste de la scène électro croate) illustrant leur morceau "Odnosi sa javnoscu" ("Relations publiques"), sur le langage artificiel de la communication et de la pub'


Golem
St!llness
Golem et St!llness sont deux groupes phares de la scène croate actuelle. Outre le fait qu'ils ont le même chanteur, les deux formations ont en commun un même regard sans concession sur la situation économique, sociale et morale de la Croatie, dont ils interrogent les non-dits et les contradictions.
Leurs textes engagés se posent en miroir des questionnements, colères et espoirs de la génération qui a 20 ans aujourd'hui...comme le pays, et qui, entre deux petits boulots payés au lance-pierre, demande des comptes à ses aînés qui lui ont vendu l'indépendance d'abord, puis l'entrée dans l'UE ensuite, comme le bien suprême.


TBF
A Split, ville de l'ignoble Zeljko Kerum, ses magouilles et son intolérance envers tout ce qui n'est pas "100% croate" (Serbes, homos, athées, féministes, etc...), la résistance est incarnée notamment par TBF (pour The Beat Fleet), des musiciens issus du milieu rap dont les textes pourfendent avec ironie et dans le délicieux dialecte dalmate la corruption, le fascisme rampant et la beaufitude qui caractérisent le "splitsko stanje uma" ("L'état d'esprit de Split"). La situation n'étant guère différente ailleurs en ex-Yougoslavie, TBF séduit aussi les jeunes serbes et bosniaques.
Ne vous fiez pas ici au phrasé débonnaire et au groove easy-listening : sous ses dehors légers, cette chanson "nostalgique" décrit avec amertume le spleen, les regrets et la perte de confiance en l'humanité, de ceux qui se demandent si tout ça (Etats semi-bananiers, guerres, balkanisation, haine...) valait bien la peine.


On avait traduit l'an passé ici le poignant "Vrati se na Dunav" de ce rapper de Vukovar, l'un des rares morceaux de rap (avec "Mater vam jebem" du Bosnien Edo Maajka) à flanquer les larmes aux yeux.
On vous le reposte aujourd'hui. Indispensable.


Zdenko Franjic 
(prononcer "Zdènnko Fragnitch")
Fondateur à la fin des années 80 du label "Slusaj Najglasnije" ("Ecoute le plus fort possible"), dont la réputation dans le paysage underground dépasse largement les frontières de la Croatie voire de la Yougosphère, Zdenko Franjic est notamment connu pour avoir découvert et édité l'excellent Satan Panonski (dont on avait parlé ici). Boulimique de musique, cet homme discret, modeste et intègre, officie sous le pseudo de Lutajuci DJ Zdena ("Zdena le DJ errant"), un live-project fédérant de manière improbable ses différentes envies musicales. Inclassable tout en restant accessible, foutraque sans être prise-de-tête, il est l'un des OVNI musicaux de la scène croate.


Let 3
La ville de Rijeka est l'un des bastions du "rock" croate. Avec ses usines en friche, son héritage ouvrier et sa culture cosmopolite, elle a tout d'un petit Manchester, d'après le metteur en scène local Ivica Buljan. C'est là que Let 3 a vu le jour à la fin des années 80. Après des débuts plutôt undergrounds, le groupe a pris un virage plus "mainstream" ("commercial" diront les Torquemadas du bon goût musical), pour devenir une formation assez populaire aujourd'hui. Cependant, derrière ses chansons en apparence innocentes, le groupe aime à glisser par endroit quelques surprises et bizarreries, et garde sur scène ou dans son esthétique un esprit joyeusement décalé.


 
Fjodor 
(proncer Fiodor)
Formé en 2006 à Zagreb, un autre bel OVNI musical évoluant, comme ses cousins franco-croates de Schyzodrome (quoique dans un style différent) entre folklore d'un pays imaginaire et territoires sonores futuristes, entre héritage du Krautrock, influences orientales et électro-jazz contemporain. Une démarche qui s'inscrit dans une certaine tradition très "Mitteleuropa" de fusion voyageuse et aventureuse (on pense entre autres aux hongrois de Masfel et Korai Öröm).


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