lundi 22 août 2011

NOUVEAUX OPIUMS DU PEUPLE AU PAYS DU CEVAP

C’était l’une des infos de l’été dans les médias de la Yougosphère, Mac Donalds vient d’ouvrir un restaurant à Sarajevo, début juillet 2011. La Bosnie-Herzégovine faisait en effet partie de ces quelques pays défavorisés, encore dépourvus de la célèbre enseigne. Symbole par excellence  de la consommation de masse et de l’impérialisme américain, Mac Do est l’un des visages de la « pop culture » dans ses aspects les plus conquérants et antipathiques. 

Yougosonic se devait donc de revenir sur cet « événement », d’autant qu’il cristallise à sa façon certaines contradictions et dérives actuelles de la capitale bosnienne.


Le hasard veut que je sois né et que j’ai grandi dans la ville française, Strasbourg, qui fut, en son temps la première à accueillir un Mac Donalds. Dans cette ville « chargée d’Histoire » où de nombreux immeubles portent la mention d’un événement historique ou de la présence d’un personnage célèbre, la firme américaine a jugé de bon ton d’apposer une plaque commémorant ce haut fait sur son restaurant, situé dans un centre commercial qui est l’une des pires verrues urbaines de la ville.


A l’époque, j’étais encore gamin, mais je me souviens quand même que l’arrivée de Mac Do était ressentie, si ce n’est présentée, comme un bon en avant pour notre ville provinciale. Une sorte de symbole d’une entrée progressive dans la cour des grandes. Ce syndrome s’est répété une dizaine d’années plus tard, avec Virgin Megastore, carrément voulu par certains politiques, puis encore un peu plus tard avec un multiplexe UGC, qui agita là aussi le débat municipal. Enfin, il y a 5-6 ans, Strasbourg postula pour devenir Capitale Européenne de la Culture…Une candidature qui se solda par un flop.
Ces enseignes de la consommation de masse et ce label prestigieux étaient visiblement nécessaires pour conforter notre identité de métropole « dynamique ». Dans la course à l’image et la guerre du « branding » que se livrent les villes européennes modernes, l’absence d’un Starbucks ou d’un grand raout événementiel peut vous reléguer au rang de bled infâme. La ville qui n’offre pas « du pain et des jeux » en version franchisée du XXIe siècle, ne mérite pas le titre de métropole.


 Après le "Za dom Spremni" des nationalistes croates, 
"Za Mac Do Spremni" pour les Bosniaques.
 
Quel rapport que tout cela avec Sarajevo ? Et bien précisément, la petite oligarchie politico-médiatico-affairiste Bosnienne présente l’arrivée de Mac Do comme le symbole marquant le retour de la capitale dans le circuit des villes dans le coup. Hors de la Yougozone, les médias y ont vu eux-aussi un signe fort, comme le fut l’ouverture du Mac Do de Moscou à l’époque de la Perestroïka, et ont relayé l’info, notamment cette dépêche de l’AFP extrêmement parlante. Ainsi, l’ancienne ville olympique reviendrait – via le Big Mac - dans la grande famille des métropoles européennes…


 
Hasard du calendrier, fin juin, le maire de Sarajevo déclarait que sa ville était favorite pour être Capitale Européenne de la Culture en 2014. Le Conseil de l’Europe a en effet délivré un avis favorable pour que Sarajevo obtienne le précieux label et tout ce qui va avec. 



 
Du temps de la Yougoslavie, Sarajevo était une « métropole ». Ce n’était certes pas New York ni Barcelone, mais à l’échelle du pays c’était un centre, un pôle, une cité de premier plan. Sarajevo était l’une des villes yougoslaves qui donnait le ton, que ce soit dans le rock, la littérature, le cinéma, la télévision. Son accent chantant, son argot coloré, son esprit frondeur suscitait la sympathie. Son cosmopolitisme, enfin, entre Orient et Occident, entre Islam, Judaïsme et Chrétienté, entre tradition assimilée et modernité trépidante, était sa grande marque de fabrique. A l’instar de la Bosnie Herzégovine, elle était une Yougoslavie en miniature. Son Islam, laïque, décontracté et peu pratiquant cohabitait en bonne intelligence avec les autres communautés. Le tourisme venait conforter cette ambiance de « ville monde », de carrefour culturel qui suscitait l’admiration des occidentaux, évidemment séduits par ce multiculturalisme urbain et épanoui.

En lisant ce dernier paragraphe, on comprend l’acharnement des forces serbes de Bosnie lors du siège de Sarajevo : il ne fallait pas seulement terroriser et tuer une population mal armée, mais briser cette harmonie, détruire l’urbanité, anéantir la métropole.


 (c) Evstafiev Mikhail

Ils n’ont pas complètement réussi même si Sarajevo a beaucoup changé. Avec la guerre, une frange de l’élite, qu’elle soit intellectuelle, artistique ou littéraire, s’est envolée, les uns au ciel, les plus chanceux à l’étranger. Certains enfants de la cité, voyant le vent tourner, avaient aussi retourné leur veste dans le sens du vent, comme Kusturica, parti mettre ses fesses au chaud à Belgrade, pendant que sa ville se faisait laminer, ou Muharem Duric, devenu « journaliste » à Politika, le quotidien serbe, à l’époque organe nauséabond de la propagande pro-Milosevic. D’autres comme Gino Jevdjevic, chanteur de Kultur Shock, ont au contraire vécu le siège dans leur chair et ne sont partis qu’après, pour tenter leur chance ailleurs. Gino Jevdjevic, Serbe de Sarajevo, même de son exil à Seattle, reste fidèle à sa ville natale et à son esprit urbain.


 
Mais Sarajevo a basculé, malgré elle, dans le provincialisme.  Les « Papci » (singulier "papak" : littéralement "sabot" d'un animal), terme typiquement sarajévien désignant les péquenauds, et leur (in)culture tapageuse et brutale, dominent dans une ville qui panse encore ses blessures.
 
Le pays ne va guère mieux que sa capitale. En gros pour faire simple, les politiciens nationalistes croates et serbes, pourtant ennemis officiellement durant la guerre, nous la jouent « pacte germano-soviétique » dès qu’il s’agit d'affaiblir l'Etat et d’entuber les Bosniaques (Musulmans). Les politiciens Bosniaques, eux, se consacrent aux « vrais problèmes », c’est à dire par exemple l’enseignement de l’Islam à l’école ou l’édition à grands frais d’un dictionnaire de la langue bosniaque…Vous savez, celle qui est très différente du croate, lui-même fondamentalement éloigné du serbe. Et tout le monde pratique corruption et clientélisme. 


 
La Bosnie-Herzégovine : 
le pays qu'on comprend encore moins après qu'on nous l'ait expliqué.

Au final, l’Etat central n’a de central que le nom, et le pays évolue entre stand-by et instabilité. Un Etat de la taille d’une « fildzan », du nom de cette tasse minuscule dans laquelle on sert le café turc, comme le chante le groupe de Mostar Validna Legitimacija.


Misère, ennui, corruption, séparatisme... La tasse est pleine et le café donne la gerbe
Validna Legitimacija ("Identité valide"), bande-son névrotique de l'asile bosnien.


Mac Donalds va donc apporter enfin ce souffle de normalité incomparable. Un avenir radieux s’ouvre sur les bords de la Miljacka. Il suffit de voir l’overdose d’affiches, de banderoles et de calicots qui annoncèrent l’ouverture du temple de la malbouffe. Impossible d’y échapper. C’est incontestablement l’événement de l’année. Pas de « casseurs de pub » en Bosnie-Herzégovine…Il est vrai que quand on survit, on a souvent d’autres chats à fouetter.

"Je suis partout"


Derrière cette ouverture se cachent quelques oligarques locaux qui ont tout intérêt à ce que se vende ce nouvel opium du peuple nommé le Big Mac, notamment Fahrudin Radoncic, un homme politique, businessman, propriétaire du très influent et bosniaquissime journal Dnevni Avaz, et dont le modèle est Silvio Berlusconi ( !). On passera sur le montage financier et l’obtention du fonds de commerce, transpirant tant le conflit d’intérêts et le délit d’initié, que la pourtant peu regardante brigade financière s’est penchée dessus…


 Une vieille "kafana" typique à Bascarsija...
Demain ici, un Starbucks !

Sarajevo est aussi la capitale des Cevapi, ces délicieuses grillades de viande hachée que l’on trouve un peu partout en Ex-Yougoslavie et qui se dégustent souvent sur le pouce. C’est à Sarajevo que l’on mange les meilleurs du monde, et les « Cevabdzinice », ces gargottes qui les servent ont su – sauf exception - garder authenticité et convivialité. Elles sont un élément caractéristique de la Bascarsija, le quartier ottoman de Sarajevo. On l’a compris, l’arrivée du Méta Burger vient défier Sarajevo dans son art de vivre le plus profond. Certes, contrairement à certaines inquiétudes exprimées ici et là, il est à peu près certain que, passé un bref effet de mode, les Sarajéviens feront la différence et resteront fidèles à l’une de leurs grandes spécialités culinaires.

Pourtant, signe d’opportunisme (autant qu’aveu de faiblesse ?), les professionnels du cevap font des courbettes au nouvel arrivant, comme nous le rappelle la dépêche de l’AFP sus mentionnée.
Il y a donc quelque de chose de pourri au royaume de la viande grillée et ce tapis rouge déroulé face au rouleau compresseur conduit par tonton Ronald en dit long sur la façon dont les élites actuelles de la ville se soucient du patrimoine culinaire bosnien.


Le Mac Do de Slavija à Belgrade

Pour ce qui est du patrimoine, il est révélateur de voir combien Mac Donald adore, un peu partout dans le monde, personnaliser ses restaurants façon couleur locale : à Strasbourg, un des restaurants investit une maison alsacienne à colombages, et à Belgrade, le Mac Do de Slavija (l’une des places centrales de la ville) est établi dans l’une des dernières petites maisons typiquement balkanique restante. Cette tendance n’est pas anodine : le message que Mac Do fait passer, en bon impérialiste, est celui d’une assimilation de la culture locale, sous couvert de faire semblant de la respecter. J’ignore à quoi ressemble celui de Sarajevo. A priori, l’important était ici qu’il se trouve pile en face de l’agence Raiffeisen…banque, qui, vous l’aurez deviné, à mis des billes dans le projet. 


Si Mac Donalds symbolise, selon ses défenseurs, un retour de Sarajevo dans le concert des villes européennes modernes, la consommation de masse à l’occidentale, dont le fast-food serait l’archétype envahissant, peut aussi contribuer à un réarmement idéologique obscurantiste, surtout dans un pays exsangue en pleine confusion morale et sociétale. En l’occurrence ici, Mac Donalds arrive dans une terre où un nouvel Islam d’importation vient conquérir ses parts de marché. 


 Le BBI Centar : consommer n'est pas un péché

Il y a un peu plus d’un an a ouvert en grandes pompes, en plein centre de Sarajevo, un vaste centre commercial nommé BBI. Jusque là, rien d’anormal, un centre de béton et de verre, comme il en pousse partout dans le monde. Là où ça commence à coincer, c’est quand on apprend que le centre est 100% halal, et que la vente d’alcool et de porc y est interdite. Sale coup pour l’excellente Sarajevsko Pivo et les bons vins d’Herzégovine ! Même le supermarché Konzum qui s’y trouve n’en vend pas. Konzum, entreprise de la très catholique Croatie, ne semble pas perturbée par cette exigence…Amusant, alors que les nationalistes croates d’Herzégovine plantent des croix partout où ils peuvent, et érigent des clochers d’églises dépassant la taille des minarets, afin de bien montrer aux Musulmans qui est le patron. 


 C'est qui qui a le plus grosse ?
Plus haute que les minarets, la nouvelle et phallique église catholique de Mostar.

Pour revenir à BBI, on comprend mieux, en voyant la liste des investisseurs, situés dans les pays de Golfe, vers quel modèle la Bosnie tendrait à évoluer. D’autres centres commerciaux se construisent, selon les mêmes préceptes, et un hôtel 100% charia-friendly est en projet. 

Avec ces temples de la consommation, l’autre activité qui fait bouffer le secteur du bâtiment dans la capitale, c’est la construction de Mosquées. 


Il en pousse à la pelle, à chaque coin de rue, sur le moindre terrain, souvent d’ailleurs à proximité immédiate des « shopping centers » sus mentionnés. Bien sûr, l’Islam étant présent en Bosnie depuis 500 ans, et une partie de la population étant pratiquante, il est normal qu’on lui érige des lieux pour pratiquer sa religion. 

 La "Mosquée Roi Fahd", à Sarajevo. 
La situation économique n'empêche pas de jouer au Golfe.

Mais y a-t-il vraiment tant de pratiquants à Sarajevo ? Faut il vraiment que chaque pâté de maison, chaque barre d’immeuble, ait sa mosquée ? Faut il vraiment construire ses pâtisseries kitschs à la gloire du roi Fahd et de son Arabie Saoudite, alors que les mosquées locales ont un style beaucoup plus dépouillé et d’inspiration turque ? 

Est-ce normal que le site officiel de la communauté islamique publie une liste noire des prétendus "islamophobes" du pays, où figurent des journalistes et des intellectuels - souvent eux-mêmes musulmans - osant exprimer un point de vue critique sur leur religion et le pouvoir grandissant du grand mufti ?

Enfin, ne faudrait il pas contrer avec un peu plus de fermeté l’arrivée des Wahhabites et autres Salafistes, qui avancent leurs pions dans ce pays déprimé, souvent violemment ?

Après le Balkan Beat, le Wahhabite...

 Mustafa Ceric, grand mufti de Bosnie-Herzégovine : 
"il n'y a pas de wahhabites [dans notre pays]".

Le problème n’est encore une fois pas l’Islam en lui-même, religion tout à fait respectable, mais l’importation d’un Islam idéologiquement conservateur et culturellement exotique, qui n’a rien à voir avec celui qui s’est exprimé jusqu’à une période récente en Bosnie Herzégovine. Cette recomposition identitaire qui touche une partie des Bosniaques est sans doute une réponse à celle en cours chez leurs …heu… « concitoyens », Croates et Serbes.
 
Aspects de la 
"recomposition identitaire des ...heu... concitoyens serbes et croates" :

 
EN HAUT : Affiche pour la commémoration des 10 ans du massacre de Srebrenica.
Le graffiti en cyrillique (alphabet des Serbes) dit : "on remettra ça"...
EN BAS : Nationalistes croates à Mostar, ville divisée.



Peut être aussi un dommage collatéral du paternalisme méprisant de l’Occident, qui justement, par négligence et inculture, n’a jamais compris que l’Islam bosniaque n’avait rien à voir avec l’islamisme pratiqué dans certaines grottes alqaïdesques d’Afghanistan ou dans les paradis fiscaux médiévaux du Golfe. L’UE souffle le chaud et le froid, et la vaste blague de la suppression des visas, très tardive et assortie de mille injonctions paternalistes, a contribué à ce que les Bosniaques se tournent vers d’autres horizons.

 Dubioza Kolektiv, rappers de Sarajevo :
 
Aussi explicable et justifiable soit-elle, cette remise à niveau religieuse n’en est pas plus sympathique.


 
Bien sûr, Sarajevo n’est pas, comme l’affirme la rhétorique officielle de Republika Srpska et le fantasme la fachosphère française, un nouveau Téhéran au cœur des Alpes Dinariques.
On peut toujours y boire de l’alcool, y danser sur de la Dubstep, s’y promener en mini-jupe, s’y embrasser dans la rue, y parler avec l’accent de Belgrade …sans se faire découper à la machette.
Les wahhabites restent très minoritaires dans le pays.
 
Mais chez les Bosniaques modérés ou agnostiques, on se pose de plus en plus de questions sur ce qui ressemble à une Dubaïsation du pays, où le Cheese Burger côtoie le Chariacenter, ou business rime avec grand-messe. Chez les Croates et les Serbes de la ville, restés parce qu’attachés à son identité plurielle, on commence aussi à se demander si on est encore à sa place.  



Frenkie, rapper engagé - lui-même musulman - interpelle le grand Mufti de Bosnie 
(le "Hodja" en serbo-croate) :
"Hé Hodja, dis moi, tu fais quoi si tu découvres que ton fils est homo ? 
Qu'est ce qui va m'arriver si je couche avec une croate ? 
Pourquoi as tu amené la politique à la mosquée ?... "
Il renvoie finalement les 3 grandes religions du pays dos à dos.

 
Et pendant qu’on ouvre des grandes surfaces halal, qu’on bétonne de la mosquée, qu’on construit une demeure luxueuse au grand mufti de Bosnie (avec de l’argent libyen !), les rues sont toujours défoncées, l’université de Sarajevo tombe en ruine, les musées n’ont plus les moyens de conserver certaines œuvres dans de bonnes conditions, le milieu culturel survit dans la galère. Last but not least, le premier Queer Festival a subi les assauts violents de « bons musulmans », aux idées aussi courtes que leurs barbes longues, obligeant d’ailleurs les organisateurs à annuler l’événement


Ouverture du Queer Festival de Sarajevo : 
rien de tel que quelques wahhabites pour assurer une ambiance délicieusement virile !


Tendre à l’ouverture de Mac Do le miroir de certaines tentations obscurantistes peut sembler un raccourci excessif et provocateur. Le célèbre fast-food ne symbolise-t-il pas, justement, un contrepoids à cette « chariatisation » rampante de Sarajevo ? Et quid de la perspective de devenir Capitale Européenne de la Culture, qui justement apporterait un nouveau souffle à la ville, et lui permettrait de renouer avec son esprit légendaire de tolérance ?

 
Le paradoxe que pourrait symboliser la présence de Mac Do face au BBI, n’est pas une promesse de pluralité et de tolérance. L’enseigne américaine est présente dans de nombreux pays qui pourtant dénigrent les « supposées » valeurs occidentales de liberté et d’ouverture. La Serbie voisine, où les States ne sont pas en odeur de Sainteté, possède une tripotée de Mac Donalds, et les séries US hypnotisent les gamins qui iront « casser du pédé » ou du touriste au nom de l’orthodoxie éternelle. Sauf dans les fantasmes des publicitaires ou dans les mythes ultra-libéraux, Mac Donalds, Starbucks, Auchan, Google, Tesco et autres Mediamarkt n’ont pas apporté la démocratie, l’éducation, la créativité et la tolérance. Ces entreprises en profitent éventuellement mais n’y contribuent pas, et s’accommodent d’ailleurs très bien, si nécessaire, de leur absence.


Jeunes serbes démolissant le Mac Do de Slavija à Belgrade pour protester contre la reconnaissance du Kosovo par les USA.

On a plutôt le sentiment ici que les promoteurs locaux de Mac Do donnent un petit gage à l’Occident, en jouant la carte du dynamisme économique et des grandes marques, pendant qu’en interne, on reprend en main sur le plan doctrinaire. On fait aussi croire à un peuple fatigué et encore traumatisé que tout est redevenu normal, avec un peu d’opium burgerisé, qui complète l’autre opium du peuple.


Ce qui fait qu’une ville devient une métropole qui compte, ce n’est pas l’avalanche de centres commerciaux, la présence d’enseignes franchisées, et l’ouverture de fast-foods ou de multiplexes. C’est encore moins, naturellement, la construction à outrance de lieux de cultes, assortie d’un tour de vis conservateur.
Une métropole rayonne par sa capacité à créer et à inventer, et non à imiter ce qui se fait ailleurs. Par sa manière de puiser dans sa culture le meilleur, et d’amener le meilleur des autres. Par sa tolérance envers les minorités et les sous-cultures, et non en leur rendant la vie impossible. Par sa capacité enfin à faire de ses contradictions un atout et non un objet de confrontations.


 Villa, piscine et identités masquées : 
un jour tout ira bien en Bosnie-Herzégovine ironise Validna Legitimacija

C’est pour cette raison que je reste très sceptique sur les opportunités qu’offriraient le titre de « Capitale Européenne de la Culture », même si je rêve d’un Sarajevo qui retrouverait son rôle central de métropole Balkanique. La guerre des candidatures pour obtenir le précieux label fait que le sens même de ce statut et des manifestations qui l’accompagnent tend à se réduire pour, me semble-t-il, céder la place à une vision à la fois branchée et technocratique de la culture : la question n’est plus de donner une âme et du contenu à l’Europe et à la culture (qui en auraient bien besoin), mais de venir avec le dossier le mieux ficelé, élaboré par les meilleurs experts en communication, et d’afficher une programmation où les artistes sont eux-mêmes une « marque » qui permettra d’attirer le touriste CSP+ et de faire croire au citoyen qu’on fait partie du cercle VIP des métropoles en mouvement. Il est vrai que pour la ville choisie, c’est le jackpot ! Le maire de Sarajevo semble en tout cas avoir surtout retenu cet aspect, vantant les retombées financières pour une ville, qui en effet (sur)vit dans la difficulté. En attendant que ce projet se concrétise, les décideurs actuels de Sarajevo – politiques et économiques – seraient mieux inspirés de rénover les écoles, musées et lieux de cultures, plutôt que d’ouvrir des fast-foods ou des shopping centers à la mode de Ryad…


 Ruelle du vieux Sarajevo.

Après avoir annoncé triomphalement, il y a quelques semaines, le retour de Goran Bregovic (encore une trade mark !) dans sa ville natale, Monsieur le Maire était surtout occupé ces derniers jours à se faire photographier au Mac Donald fraîchement inauguré. Il est vrai que ce sont des copains qui sont dans l’affaire, et d’ailleurs le premier élu de la ville n’est pas au courant de l’enquête de la brigade financière en cours à leur sujet…A Sarajevo, l’intox n’est pas qu’alimentaire.



ERRATUM (23/8) : une amie Facebook me fait remarquer que le Queer Festival n'a pas été annulé, contrairement à ce que j'écris. Voir sa contribution en détail ci dessous dans les commentaires (c'est le 2e).


Yougosonic remercie la Mostarienne de Lyon ou la Lyonnaise de Mostar (qui se reconnaîtra) pour ses précieux témoignages et informations qui ont inspiré ce post.
Un article du portail indépendant E-Novine (à lire ici si vous comprenez le serbo-croate) a également fourni de nombreux éléments utiles.

 

AVERTISSEMENT : une partie des sujets abordés dans ce post étant susceptibles d’attirer les crétins de souche, les bassidjis du dimanche, les intégristes de la laïcité, et autres trolls du petit bout de la lorgnette, la vigilance sera particulièrement forte dans la modération des commentaires. 

Tournez votre souris 7 fois avant d’écrire…


(c) Yougosonic 2011, tous droits réservés

2 commentaires:

  1. "un hôtel 100% charia-friendly", bravo!

    RépondreSupprimer
  2. UPDATE : je vous passe le commentaire - fort éclairant - d'une amie Facebook qui connait bien le sujet. Merci à elle :

    "Comme d'habitude, c'est très bien :) Toutefois, il me semble qu'il y a de micro rectificatifs à faire. Par exemple, le Queer Festival n'a jamais été officiellement annulé. Pour des raisons de sécurité (des caricatures montrant les deux organisatrices du festival égorgées + appels au meurtre sur le Net et sur les murs de la ville) il a été fermé au public. L'Ambassade de Hollande, principal financier du festival a assumé ses responsabilités jusqu'au bout et accueilli le festival dans son enceinte. Certes, le festival n'était plus public mais cela a permis aux autres institutions internationales, ambassades, observateurs des droits de l'homme etc....d'échanger pendant une semaine avec les organisateurs du Queer et de pouvoir prendre le pouls du droit des minorités sexuelles en BiH. Je me permets ce rectificatif car je me souviens que les filles étaient très attachées à cette nuance à l'époque. Je me souviens que cela ne faisait que 2 mois que j'étais arrivée de Mostar à Sarajevo....Sarajevo que je prenais pour le paradis après Mostar, calme, pas de "côté", pas de Gradski Derbi...et là...pan....c'est Ramadan.....et re pan...le Queer Festival...Il faut quand même dire que pendant une semaine, certaines mosquées étaient gardées par des homes avec de très longues barbes...que pendant une semaine il ne faisait pas bon boire une bière en terrasse à Bascarsija sous peine d'insulte (c'est tjrs le cas pendant le Ramadan et surtout si tu es une femme hein....). La chasse aux homos déclenchées le soir du Queer a été un véritable safari en ville, il y a eu des blessés et il fallait entendre le discours dans les mosquées....
    D'autre part (désolée d'être si longue), concernant la polituqe en BiH, d'une façon générale, on bloque sur les nationalistes Serbes et Croates, un peu sur le SDA et on ne parle que très peu du SDP. J'ai commencé à écrire une analyse sur la radicalisation de la division au sein du SDA que je t'enverrai. Sur le SDP...c'est une énorme déception. Quand le maire Behmen est arrivé à la mairie de Sarajevo nous avons tous cru qu'il allait remonter le standing de la ville (c'est très mal dit) et bien nous nous sommes cruellement trompé (je suis tombée de ma chaise quand j'ai vu qui'l inaugurait le Mc Do). La clique de Lagumdzija ne fait que s'en mettre plein les poches, Behmen n'échappe hélas pas à la règle. Il feint d'ignorer les enquêtes de la brigade financière sur son entourage proche accusé d'avoir détourné des MILLIONS des caisses de la Fédération. Le SDP n'a peut être pas de sang sur les mains, par contre il a les poches bien pleines et leur discours de pseudo sociaux démocrates à deux balles ne font plus illusions. Ce qui est extrêmement cruel c'est qu'il n'y a aucune autre alternative non nationaliste solide (pour moi Nasa Stranka est une bonne blague).
    Pour finir, le label de Sarajevo capital européenne blablabla me fait bien rire. Ils ont intérêt à pister le fric à Bruxelles parce que une chose est sûre, sur le CV de la ville ça fera bien mais ce ne sont pas les initiatives indépendantes et intéressantes qui recevront les budgets, attendons nous à un grand déballage folklorique et communautaire navrant....
    Je voulais dire un truc sur les Croates et les Serbes de Sarajevo aussi...Mais je crois que je vais m'arrêter là..."

    RépondreSupprimer

Les commentaires sont modérés avant publication. Au vu de l'Histoire récente de la Yougoslavie, et étant donné que je n'ai pas envie de jouer à EULEKS ou à la FORPRONU du web entre les suppôts de la Grande Serbie, les supporters de la Grande Croatie, ceux de l'Illyrie éternelle ou les apôtres de la guerre sainte, les commentaires à caractère nationaliste, raciste, sexiste, homophobe, et autre messages contraires à la loi, ne seront pas publiés et l'expéditeur sera immédiatement mis en spam.
Les débats contradictoires sont les bienvenus à condition de rester courtois et argumentés. Les contributions qui complètent ou enrichissent les thèmes abordés seront appréciées. Merci