mercredi 23 février 2011

YOUGOSONIC - ANNEE 0

Comment parler de l'Ex-Yougoslavie ? L'Histoire nous évoque  un espace compliqué, instable, soumis à des influences contradictoires. Villégiature des Austro-Hongrois, territoire de chasse des Ottomans. Un jeu d’échec pour grandes puissances, grandeur nature et à ciel ouvert, mais où on a le droit de tricher. Une terre où on inventa le serbo-croate et où fut expérimenté le socialisme autogestionnaire. Un Etat non-aligné qui a incarné une alternative entre Oncle Sam, le grand frère russe et ce qui s’appelait encore à l’époque la CEE. Un pays dont les citoyens pouvaient voyager et travailler à l’étranger : on leur doit certaines de nos autoroutes ou tours de bureaux, des restos nommés « Balkan », « Dubrovnik » ou « Chez Slavko ». Un pays où se déversaient les touristes, de Dubrovnik à Sarajevo. Un Etat moderne, avec ses écrivains, ses chercheurs, ses cinéastes, sa scène rock …qui a disparu violemment et dans l’incompréhension la plus totale, y compris bien souvent de ses propres citoyens.


On parle donc d’un pays qui n’existe plus, et en même temps, d’un pays qui existe encore, mais comme un souvenir, un fantôme, une ombre, un retour du refoulé, que ce soit dans le déni obsessionnel de ceux qui le dénigrent, ou dans la vénération parfois naïve des « yougonostalgiques »

La Yougonostalgie : c'était mieux avant, surtout par rapport à après.


Désormais, c’est le terme de « Yougosphère » qui s’installe peu à peu : un concept qui rappelle que si la Yougoslavie a bien disparu, il subsiste bien un espace linguistique, culturel, économique, et géographique commun.

Aujourd’hui, l’ex-Yougoslavie est devenue la banlieue de l’UE. Comme dans les banlieues françaises, on y ouvre surtout des supermarchés. Et quand l’absence de perspectives et les tensions « inter-quartiers » font qu’il y a un peu de nervosité, on agite le bâton qui est aussi la carotte.


Dans les années 80, la Yougoslavie a enfanté des groupes comme Laibach ou Borghesia qui marquèrent l’underground européen de l’époque, mettant pour la première fois un « pays de l’est » sur la carte du monde rock, pourtant traditionnellement chasse gardée des Anglo-saxons. L’imagerie totalitaro-industrielle de Laibach, l’électro martiale mais angoissée de Borghesia apparaissent avec le recul comme un reflet, voire un signal d’alarme, de la dislocation qui se préparait. 

Bruits de bottes dans le juke box : Laibach et Borghesia


Dans les années 90, c’est l’infâme turbo-folk qui s’imposa, musique des ploucs, des mafieux et des paramilitaires, la bande son vulgaire des années de plombs. En Occident, on eut la world pop pour bobos de Bregovic, les films d’Emir Kusturica et le punk cabotin de No Smoking Orchestra. Leurs aficionados – et ils sont nombreux – rappellent qu’ils ont contribué à promouvoir la musique balkanique en France. Même si on apprécie une partie de leur oeuvre, on est ici plus mitigé : outre le fait qu’ils trustent le paysage culturel - ce qui fait que hors des fanfares et du Balkan Beat, aucune chance pour un groupe balkanique de percer en France - on pense aussi qu’ils popularisèrent chez nous l’image déformée d’un bon sauvage balkanique, un ivrogne certes un peu bourru et violent, mais un brave gars, au fond, victime de son destin. On y reviendra…

 Homo Balkanicus Kusturiciensis

Au final, alors que les états nés de l’éclatement attendent toujours (hormis la Slovénie) le droit d’entrer dans l’UE, cette musique des Balkans est justement à la mode chez les jeunes de Berlin, Paris, Londres, Zurich…Pendant ce temps, la Yougosphère offre un paysage musical éclaté comme le pays et ses habitants, disséminés de par le monde : entre rock citoyen et pop insouciante, hip hop patriotique (!) ou rap déjanté, contre culture audacieuse et daube de bistrot de campagne, punk d’exilés ou traditionnel revisité…

C'est giga cool d'être Albanais : rap patriotique du Kosovo
 
Après le plombier polonais, l'exilé yougo : Kultur Shock, punk issu de l'immigration.

Ce blog nourrit le modeste objectif d’essayer de rendre compte et de décortiquer tout ce qui est décrit dans ce long préambule. Ce sera parfois drôle, déconcertant, inquiétant, détonnant, mais juste à l'image de ce coin d'Europe dont la folie vous irrite quand vous êtes sur place, mais vous manque quand vous rentrez en France.

4 commentaires:

  1. Belle introduction qui donne envie d'en lire plus

    c'est pour quand la suite?

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  2. Merci pour le com'

    La suite ? Demain ou jeudi. Le temps de peaufiner encore le prochain post...

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  3. Bienvenue à toi, Szekely.

    Merci pour la contribution : c'est une filiation intéressante entre Saban Bajramovic et la chanson de Grof Djuraz.

    La modération : simple question de bon sens. Pour l'instant, les nombreux trolls en question n'ont pas encore découvert ce blog...Espérons que ça dure ;-)

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  4. @ anonyme du 28/2 et tous les autres : en raison d'une contre-offensive inopinée de la vraie vie (le gagne-pain, en l'occurrence), le bouclage et donc la publication du prochain post sera plutôt pour dans quelques jours...patience

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