Photo (c) Mirsad Behram pour Radio Slobodna Evropa.
Predrag Lucić nous a quitté ce mercredi 10 janvier 2018, à l'âge de 54 ans, emporté par la même "longue maladie" que celle qui nous priva déjà d'autres plumes humoristiques talentueuses, telles Desproges et Reiser. L'humour, qui pourtant devrait être remboursé par la sécurité sociale, de par ses nombreuses vertus bienfaitrices, ne protège hélas pas de l'infâme bête à pince, mais cessons là les traits d'esprits, car l'ambiance n'est pas à la fête... Peu connu en France, hors de la sphère des yougophiles serbocroatophones, Predrag Lucic (prononcer Prédrag Loutsitch) est né à Split, 2e ville de Croatie, en 1964. Il est l'un des fondateurs du célèbre "Feral Tribune", l'une des rares voix médiatiques indépendantes dans la Croatie de Franjo Tudjman. Le magazine satirique est connu pour avoir tissé des liens avec Charlie Hebdo, dans une fraternité de l'humour politique qui avait su dépasser les barrières de langue et de culture (on en avait parlé ici).
Predrag Lucić
C'est au sein du "Feral" que Predrag Lucić, et ses deux principaux frères d'armes, Boris Dežulović et Viktor Ivančić (prononcer respectivement Déjoulovitch et Ivann'tchitch), testeront la subtile et complexe dialectique qu'implique la contestation, par l'humour ou par l'enquête de fond, d'un pouvoir peu réceptif à la critique. D'abord avec le régime communiste finissant, lorsque le "Feral" est encore un supplément hebdomadaire du grand quotidien de Split et de sa région, Slobodna Dalmacija ("Dalmatie Libre"), et que s'ouvrent ça et là des fenêtres d'impertinence; puis, lorsque le HDZ de Franjo Tudjman prend le pouvoir, non seulement en Croatie, au bord de l'indépendance, mais également au sein de la rédaction de Slobodna Dalmacija, dans une parfaite continuité des méthodes de noyautage tous azimuths de l'ancien régime, dont, après tout, la plupart des membres du parti nationaliste sont issus.